8      Eléments d'écologie comportementale

Comme l'a illustré le chapitre précédent, le comportement a évolué en ce qu'on voit maintenant. Jusqu'ici, on a surtout montré comment, plutôt que pourquoi. Dans le cas de la danse de l'abeille, le pourquoi "général" est relativement facile à imaginer, en termes d'efficacité de la colonie (plus efficace que le recrutement olfactif – que les abeilles emploient aussi, cf. glande de Nasimov – , et que le recrutement par poursuite – une abeille suivant simplement l'autre –, qui peut être accidentellement interrompu).

Dans de nombreux cas, l'avantage adaptatif d'un comportement est relativement simple à imaginer. L'éjection des coquilles d'oeufs par les Laridés (mouettes, goélands) s'interprète facilement en termes de camouflage (bien sûr, il restait à le vérifier à la Tinbergen!).

Cependant, dans de nombreux autres cas, on ne peut pas comprendre directement la raison d'être d'un comportement. En particulier, pour comprendre l'adaptation du comportement, il faut tenir compte de ce que font les individus en réponse les uns aux autres.

Par exemple, les modèles d'optimal foraging (cf. mésange) oublient que plusieurs individus peuvent être en compétition. Il se peut alors qu'il soit plus avantageux de rester dans une zone à rendement faible (mais sans concurrents).

8.1       Illustration: Le résident gagne toujours – pourquoi?

[EVO-100] Nicholas Davies a étudié le comportement territorial du Tircis[1], un papillon de forêt de nos régions. La ressource limitée est les taches de soleil, où un mâle peut faire la cour à plus de femelles que dans les arbres. Les mâles occupent et défendent donc les taches de soleil, qui sont moins nombreuses que les mâles. Il y a donc des mâles en recherche de taches à tout moment.

Si un intrus arrive dans une tache occupée, les deux mâles font un bref vol en spirale vers le haut, et ensuite l'un des deux s'en va vers le haut des arbres, et l'autre revient à la tache de lumière. Davies a montré que c'est toujours le résident qui "gagne" dans cette rencontre.

Dans l'hypothèse la plus simple, ce serait simplement que seuls des mâles forts occupent les taches. Il est facile de prouver le contraire:

Si on ôte le gagnant, l'autre papillon, évincé auparavant, peut occuper sa place. Qu'on remette alors le premier papillon, et c'est à nouveau le résident (maintenant, le second papillon) qui gagne.

Que se passe-t-il si on met subrepticement un deuxième papillon dans un territoire occupé (de sorte que le résident ne voit pas tout de suite l'intrus, et que l'intrus ne voit pas tout de suite le résident)? Quand les papillons se découvrent l'un l'autre, il s'ensuit un très long vol en spirale (10x la normale), ensuite de quoi l'un des deux (mais pas nécessairement le résident) occupe la tache.

8.2       Une contradiction apparente

Dans une interprétation darwinienne, l'évolution consiste en des changements de caractères[2] (i.e., du phénotype morphologique et/ou comportemental) dans la population et il n'y a d'augmentation de la fréquence d'apparition d'un caractère que si ce caractère augmente la fitness[3] darwinienne (le nombre de descendants survivant jusqu'à l'âge de reproduction).

Dans ce contexte, il fallait expliquer les comportements qui semblent nuire à la reproduction de l'individu:

Or, il y a des conventions dans le comportement, en particulier dans les affrontements. Les animaux qui s'affrontent pour une ressource (partenaire, territoire, position dans la hiérarchie) n'utilisent pas toujours les armes qu'ils ont de la manière la plus efficace, mais se contentent d'une version amoindrie, ritualisée. Les crabes violonistes utilisent leur pince surdimensionnée lors des combats pour un territoire; néanmoins, on ne connaît pas d'exemple où un crabe en aurait écrasé un autre avec sa pince, pourtant assez forte pour cela.

Autres exemples: les combats ritualisés entre mâles chez l'oryx et chez le crotale. L'oryx n'utilise pas ses cornes pour étriper son adversaire; le crotale n'essaie pas de mordre son rival, il se contente d'essayer de le plaquer au sol.

A priori, il semblerait  pourtant que celui qui lutte le plus fortement (par des actes, pas par des displays conventionnels) a plus chances de passer ses gènes à la génération suivante (donc la partie héritable de sa tendance à lutter fortement). Pourquoi donc observe-t-on ces combats "amoindris"?

Fallait-il considérer que cet amortissement des attaques était dû à la sélection de groupe (sont conservés les caractères qui sont favorables pour le groupe: en effet, pour l'entier du groupe – et "groupe" peut être l'espèce entière --, il vaut mieux que les individus ne s'entre-tuent pas). Cette idée – de la sélection de groupe – avait été proposée par Wynne-Edwards en 1962, et Konrad Lorenz s'était rangé à cet avis.

En somme, la question est de savoir si la sélection de groupe[4] pourrait amener des individus à sacrifier leur propre intérêt procréateur pour le bien du groupe.

En fait, ce concept ne "tient pas la route". Il suffit de penser au fait que les individus qui n'ont pas le "gène du sacrifice" vont se reproduire plus que les autres, donc le "gène du sacrifice" va, proportionnellement, diminuer dans la population. Cette contradiction a été démontrée mathématiquement par G.C.Williams[5].

Face à ce problème, John Maynard Smith, vers 1970, découvre qu'il peut utiliser la théorie des jeux[6].

8.3       Les Stratégies Evolutivement Stables[7]

John Maynard Smith a défini ce qu'est une Stratégie ES: une stratégie ayant la propriété que, si elle a été adoptée par presque toute la population, alors aucune autre stratégie "mutante" ne peut plus venir la détrôner[8].

En d'autres termes, une S est ES s'il n'y a aucune stratégie mutante qui donne une fitness darwinienne plus haute aux individus qui l'adoptent.

8.3.1                          Faucons et colombes

JMS a inventé l'exemple suivant, une espèce hypothétique où chaque individu n'a que deux tactiques (stratégies) possibles: faucon et colombe.

La tactique faucon consiste à combattre "à fond" jusqu'à ce qu'il gagne (en blessant l'autre ou le faisant fuir) ou qu'il soit lui-même blessé.

La tactique colombe consiste à combattre conventionnellement et s'enfuir dès que ça devient dangereux, avant d'être blessé.

A la fin de chaque affrontement, chaque individu reçoit gain G, qui mesure son changement de fitness (en bien ou en mal).

On désigne par G(X,Y) le gain suivant la rencontre de X et Y. Il est déterminé par 3 facteurs: le gain en gagnant, la perte (gain négatif) si on est blessé, et la perte résultant d'un conflit prolongé.

Supposons les valeurs suivantes:

Victoire

 +10

Blessure

 —20

Long affrontement

 —3

 

Probabilité de gagner dans chaque rencontre où il y a effectivement combat: ½.

Alors:

L'espérance mathématique[9] du gain pour un faucon affrontant[10] un autre faucon est:

G(F,F)= ½ (+10) + ½ (—20) = +5 — 10 = —5

Pour une colombe affrontant une colombe (ça dure, mais sans blessures):

G(C,C)= ½ (+10) + (—3) = +5 — 3 = +2 (voir note [11])

Pour un faucon affrontant une colombe (celle-ci s'enfuit rapidement, il n'y a donc pas de combat!):

G(F,C)= +10

Et pour une colombe affrontant un faucon (idem):

G(C,F)= 0

Ceci donne la matrice de gain:

attaquant

attaque un Faucon

attaque une Colombe

Faucon

—5

+10

Colombe

0

+2

La reproduction des individus sera affectée proportionnellement à la somme de leurs gains.

8.3.2                          Conditions pour qu'une stratégie soit ES

Une stratégie I est évolutivement stable si et seulement si:

Pour toute autre stratégie J

·        soit G(I,I) > G(J,I),

·        soit G(I,I) = G(J,I) et G(I,J) > G(J,J)

Aucune des deux stratégies pures F et C ci-dessus ne sont évolutivement stables (autrement dit, une population "tout F" ou "tout C" pourrait être envahie par une autre stratégie).

En effet: Puisque le gain moyen dans une population "tout Faucon" est de G(F;F) = —5, un mutant Colombe serait avantagé, étant donné que G(C,F)=0. Il se reproduirait davantage, et sa fréquence (initialement quasi nulle) augmenterait dans la population.

De même, puisque le gain moyen dans une population "tout Colombe" est de G(C,C)= +2, un mutant se comportant en faucon serait avantagé, étant donné que G(F,C)= +10.

On peut montrer qu'une stratégie mixte[12] (avec les probabilités p=8/13 pour F et p=5/13 pour C) est une SES: En effet, si on pondère les gains par la probabilité des types de rencontre dans la population mixte, on aura la matrice suivante:

attaquant

attaque un Faucon

attaque une Colombe

Faucon

(64/169) . (—5)

(40/169) . 10

Colombe

(40/169) . 0

(25/169) . 2

Et le gain moyen G(I,I) de la stratégie sera de 2.47 environ.

8.3.3                          Une stratégie mixte chez la mouche[13]

On trouve en [EVO-99] un exemple de cela chez la mouche dont le mâle patrouille les bouses de vache!

Les mouches femelles pondent les œufs dans les bouses, donc les mâles patrouillent les bouses et cherchent à s'accoupler avec les femelles qui arrivent. Mais elles arrivent moins à mesure que la bouse se dessèche. Le mâle a donc le choix entre deux tactiques lorsque sa bouse est en train de se dessécher: partir à la recherche d'une autre bouse ou rester. Le succès de sa tactique va dépendre de ce que font les autres mâles; si ceux-ci partent, l'individu a avantage à rester: sa bouse un peu desséchée attire moins de femelles, mais il y a peu de concurrence. Si par contre les autres mâles restent, l'individu aura avantage à partir. On voit facilement que la seule SES est mixte, avec certains mâles qui restent, d'autres qui partent tôt, dans une proportion déterminée. La théorie des jeux prédit que, à l'équilibre, les mâles qui restent et ceux qui partent auront le même succès reproducteur. C'est exactement ce que montrent les données de Parker.

8.3.4                          Asymétries non corrélées et stratégie du Bourgeois

Un modèle de ce genre marche dans certains cas (mouche) mais il ne tient pas compte des asymétries présentes dans les affrontements entre animaux:

1.     Asymétries en capacités de combat (force...), qui vont affecter le résultat du combat quand il y en a un.

2.     Asymétrie de la valeur de la ressource pour les 2 individus (la nourriture pour un animal affamé resp. rassasié), qui vont affecter les gains.

3.     Les asymétries dites non corrélées car elles n'affectent ni le résultat ni les gains. Ce sont celles-ci qui vont servir à régler conventionnellement les affrontements. Le fait d'être propriétaire d'une ressource peut être une asymétrie de ce type.

On peut ajouter à Faucon et Colombe une troisième stratégie, fondée sur une asymétrie non corrélée, et dite du Bourgeois. Cette stratégie est une stratégie conditionnelle: Si l'individu est propriétaire de la ressource, il adopte la tactique Faucon, sinon, la tactique Colombe. On suppose qu'un individu a une chance sur deux d'être propriétaire.

Dans le calcul de la matrice des gains, la partie Faucon et Colombe ne change pas; il faut calculer en sus les interactions impliquant un Bourgeois. Par exemple, la rencontre d'un Faucon et d'un Bourgeois: L'espérance mathématique de gain est G(F,B)= ½ G(F,F) + ½ G(F,C) = +2.5. (En effet, le Bourgeois a 1 chance sur 2 d'être propriétaire, auquel cas il se comporte en Faucon, et une chance sur 2 de ne pas l'être, auquel cas il se comporte en Colombe).

De même, G(B,B) se traduit par ½ G(F,C) + ½ G(C,F) = +5. (en effet, dans une rencontre B-B, nécessairement l'un est propriétaire-Faucon et l'autre intrus-Colombe)

Les gains des autres interactions se calculent de même et on aura en fin de compte la matrice de gain suivante:

 

attaquant

attaque un Faucon

attaque une Colombe

attaque un Bourgeois

Faucon

—5

+10

+2.5

Colombe

0

+2

+1

Bourgeois

—2.5

+6

+5

 

On voit facilement que pour ce jeu, la seule stratégie évolutivement stable (celle dont le gain moyen est le plus élevé) est que tous adoptent toujours la tactique Bourgeois:

Sur la diagonale (stratégie unique), le meilleur gain est G(B,B)=+5.

Considérons maintenant une stratégies mixte à proportions égales, Colombe-Bourgeois (partie inférieure droite du tableau). Le gain moyen sera la moyenne des gains indiqués, soit 3.5.

Pour Faucon-Bourgeois (coins du tableau), le gain moyen sera de 0.

La stratégie mixte "trois-tiers" aura un gain moyen de 2.1. Et cetera!

8.3.5                          Une SES est ES!

Qu'en est-il de la population avec stratégie mixte Faucon/Colombe, dont on a dit plus haut que c'est une SES? Peut-elle être envahie par Bourgeois?

Reportons nous aux conditions pour qu'une stratégie soit ES (section 8.3.2). On a vu que le gain moyen de la stratégie mixte est de 2.47. Soit I cette stratégie, alors G(I,I)=2.47.

Quel est le gain moyen de la stratégie mutante G(J,I) (où J est Bourgeois), lorsqu'elle entre en contact avec la stratégie mixte majoritaire?

attaquant

attaque un Faucon

attaque une Colombe

Bourgeois

(8/13) . (—2.5)

(5/13) . 6

 

G(J,I)=0.77 environ. On a donc G(I,I) > G(J,I) et Bourgeois ne peut donc pas venir remplacer la stratégie mixte (ce qui montre bien que la stratégie mixte est une SES!).

8.3.6                          Le Tircis: décryptage

Le Tircis fonctionne suivant une stratégie conditionnelle de type Bourgeois (suivie par tous les membres de la population). Un mâle considère qu'il est résident s'il a pu rester quelques secondes dans une tache sans être attaqué. Le fait d'être résident est l'asymétrie non corrélée acceptée comme indice anti-escalade; et le vol ne sert (en temps normal) qu'à indiquer que le lieu est occupé.

8.3.7                          Des simplifications utiles

Les exemples de matrices de gain donnés ci-dessus sont le plus souvent des simplifications grossières de la réalité: même dans le cas du Tircis, on a montré par la suite que la stratégie du Bourgeois parfaite décrite ci-dessus disparaît dès lors que la ressource (les taches de lumière) devient plus rare. Il y a alors de véritables affrontements (ça n'a rien d'étonnant:  la pauvreté des ressources induit une asymétrie corrélée, la tache de lumière devenant très importante pour le mâle intrus qui n'en a pas encore alors que le temps passe et que sa probabilité de se reproduire diminue. Le mâle intrus basculera davantage du côté Faucon – combattre à fond – et comme le mâle en place, par définition, adopte la tactique du Faucon aussi, le combat devient sérieux).

Malgré son côté simpliste, cette approche donne des instruments pour approcher de manière cohérente et formalisable des situations complexes. Ainsi, les Stratégies ES ne sont pas une simple théorie mais un cadre de pensée pour comprendre de nombreuses situations différentes.

On trouve par exemple chez Axelrod[14] une approche des situations de conflit ou de coopération fondée sur ce type de raisonnement, et qu'il démontre entre autres par l'exemple de la coopération spontanée entre combattants ennemis sur le front de la guerre des tranchées lors de la 1ère Guerre Mondiale (on en reparlera dans le contexte de l'altruisme réciproque).

Evidemment, les principes de base des Stratégies ES doivent être accommodés aux cas plus complexes (p.ex. sur 403 combats territoriaux entre crabes violonistes Uca, le résident a gagné 349 fois; dans les 54 autres cas, l'intrus était presque toujours plus grand que le résident: c'est le cas d'une asymétrie corrélée (force) qui vient interagir avec l'asymétrie non corrélée (résidence).

Encore une note: Une Stratégie ES est en fait simplement un état (caractérisé par des types de comportement présents en certaines proportions dans une population) auquel a mené l'évolution. Il n'implique rien de ce que le terme "stratégie" sous-tend habituellement (en termes de processus conscient). Irenaüs Eibl-Eiblsfeldt préfère d'ailleurs le terme d'Etat Evolutivement Stable!

8.3.8                          Une SES: Les grillons cryptiques (pas donné en 2001-2002)

[GOA-73] On a découvert que tous les grillons mâles ne chantent pas. En effet, si le chant attire les femelles, il est cependant dangereux (il attire les prédateurs et les parasites, notamment des mouches qui pondent sur les grillons, qui se font ensuite dévorer par les larves). Certains mâles ne chantent pas: ils se comportent en satellites de mâles chanteurs, et interceptent les femelles. Leur taux de succès est moindre, mais leur vie est plus longue: en termes de bénéfice net, le gain est le même. Mais, pour cela, il faut que la proportion des chanteurs et des silencieux soit correcte (le nombre de profiteurs va augmenter jusqu'à un optimum, ensuite il n'y a plus assez de chanteurs pour attirer assez de femelles!). Les individus évaluent le nombre de chanteurs et décident de chanter ou non suivant les circonstances.

8.3.9                          La sex ratio

Sans entrer dans l'explication ici, notons que la sex ratio (le rapport du nombre de mâles et de femelles produits), en général voisine de 1:1, s'explique aussi par une SES (en fait, cela dépend du coût de la production d'un mâle et d'une femelle: c'est l'investissement qui doit être, en fin de compte, de 1:1 [WIL-316]. On peut montrer qu'une sex-ratio biaisée a pour conséquence inévitable[15] un retour vers 1:1)

Chez certaines espèces d'insectes, en particulier les Hyménoptères sociaux, il existe un contrôle actif de la sex ratio. La femelle (la reine, chez les abeilles) conserve le sperme de son (ou ses) partenaire(s) dans une spermathèque, et elle peut "décider" de féconder ou non l'oeuf qu'elle va pondre. Un oeuf fécondé devient une femelle (diploïde), alors qu'un oeuf non fécondé devient un mâle, (haploïde). La sex ratio est donc manipulée selon les besoins du moment (par exemple les mâles ne sont produits que juste avant la saison de reproduction).

On peut se demander s'il existe une manipulation de la sex ratio chez les vertébrés. Trivers et Willard (1973) ont posé le syllogisme suivant:

1.     Chez beaucoup de vertébrés polygames, les mâles grands et en santé s'accouplent plus que la moyenne, alors que des mâles petits et plus faibles ne s'accouplent parfois pas du tout. Par contre, pratiquement toutes les femelles s'accouplent, indépendamment de leur état[16].

2.     Les femelles qui ont la meilleure condition physique produisent les enfants en meilleure santé, et ces enfants tendent à devenir les adultes les plus grands et en bonne santé.

3.     Donc, les femelles en bonne forme devraient produire une plus grande proportion de mâles (car ces mâles auront un grand succès reproducteur et produiront à leur tour un grand nombre de descendants); par contre, si l'état physique de la femelle décline, elle devraient favoriser la production de femelles.

8.3.9.1                                   Exemples: opossums, cerfs, présidents, etc.

[RIR-110] Austad et Sunquist, de Harvard, avaient décidé de prouver que cette théorie était fausse. Ils ont marqué 40 opossums femelles (un marsupial d'Amérique du Sud). Ils ont nourri 20 d'entre elles en déposant tous les deux jours 125 grammes de sardines hors de leur tanière. De mois en mois, ils ont ouvert les poches marsupiales des femelles et sexé les petits. Les femelles non nourries ont eu 256 petits, dont exactement la moitié étaient des mâles. Les femelles nourries ont porté 270 petits, et il y a eu 1.4 x plus de mâles que de femelles! (cause proximale probable: mortalité différentielle in utero; cause ultime: effet de la sélection naturelle selon le principe de Trivers et Willard).

Clutton-Brock et al. ont mis en évidence, sur l'île de Rhum, un exemple de lien entre statut hiérarchique de la mère, succès reproducteur des descendants mâles, et sex-ratio biaisée vers les mâles chez le cerf[17].

On a trouvé aussi chez... les Présidents des Etats-Unis d'Amérique (des familles vivant sans nul doute dans de bonnes conditions matérielles) une sex ratio biaisée en faveur des garçons (pour 42 présidents, 90 fils et 61 filles: une différence hautement significative).

De même[18], Valerie Grant, en Nouvelle-Zélande, avait testé des femmes enceintes au 1er trimestre selon un test standard mesurant la dichotomie personnalité dominante / personnalité subordonnée. Les enfants mâles sont nés de femmes significativement plus dominantes que les enfants femelles.

[TRI-297] De manière plus significative, on connaît plusieurs cas avérés de biais de la sex-ratio à la naissance dus à des situations économiques ou socioéconomiques différentes:

Entre 1671 et 1720, au Portugal, la sex-ratio dépendait de la qualité de la récolte: les mauvaises années (14), le sex-ratio était de 90.7; les bonnes (35), de 112.1 (différences statistiquement significatives).

En 1970, aux USA, on a trouvé un lien entre statut socioéconomique (un indice composé du salaire, des années d'études, et du statut dans le travail) et sex-ratio:

Statut socioéconomique

sex-ratio des enfants

pourcentage d'hommes non mariés

1 (le plus bas)

95.6

plus de 30%

2

100.0

 

3

104.9

 

4 (le plus élevé)

103.9

moins de 5%

 

Plus de garçons naissent (ces effets sont significatifs) dans les familles aisées. Selon la théorie de la manipulation de la sex-ratio, Les individus mâles issus d'une famille aisée ont de meilleures chances d'avoir des descendants (voir proportions de non-mariés), donc il est avantageux pour les parents de ces individus que ceux-ci soient plutôt des mâles!

8.4       L'investissement parental

8.4.1                          Solo

[BUS-192][19] John Alcock décrit un film fascinant sur le chien sauvage d'Afrique (ou Lycaon). Cette espèce est caractérisée par son très grand degré d'altruisme et de coopération, associé à la chasse en meute. Le film racontait la vie d'un individu particulier, un jeune mâle nommé Solo. Solo était le fils d'une femelle subordonnée dans la meute, et, en raison de son statut, cette femelle et ses petits étaient vulnérables dans cette meute. La mère de Solo avait une rivale, une autre femelle de la meute, avec laquelle elle était en conflit depuis longtemps. Un par un, les frères et sœurs de Solo ont été tués par cette femelle rivale, alors que la mère essayait en vain de protéger ses petits.

Le plus étonnant était de voir – disait Alcock – que pendant que la mère de Solo risquait sa vie pour défendre ses petits, le père de ces mêmes petits se tenait passivement à côté de la scène et ne faisait absolument rien pour les protéger!

8.4.2                          Des mâles et des femelles

Pour les êtres sexués que nous sommes, il est difficile d'imaginer que la reproduction puisse se faire autrement que sexuellement. C'est la règle pourtant chez les organismes unicellulaires (qui se reproduisent par scission), et même chez certaines espèces multicellulaires (p.ex. les pucerons de vos rosiers, ou les lézards parthénogénétiques déjà mentionnés).

La sexualité implique des coûts: trouver un partenaire d'une part, mais aussi investir à perte dans les mâles...! (Un lézard parthénogénétique peut produire deux femelles, qui auront toutes deux des descendants, etc., pour le même coût qu'un lézard normal investit à produire une femelle et un mâle, qui devront se mettre à deux pour avoir des descendants!). En termes de gènes, seuls 50% des gènes d'un parent sexué sont passés à son rejeton – une perte nette de 50%!

Il doit y avoir un avantage massif à la reproduction sexuelle pour compenser le surcoût. La conséquence évidente de la reproduction sexuelle est la diversité génétique de la progéniture. Il faut donc supposer que l'avantage tient dans cette diversité.

8.4.3                          Pourquoi la reproduction sexuée? Les théories

Une première théorie (Trivers, 1985; Williams, 1975) suppose que la diversité permet d'occuper des niches écologiques différentes et donc de réduire la compétition entre membres d'une fratrie.

La théorie en vogue actuellement (Hamilton, 1980) suppose que la reproduction sexuelle est l'arme absolue "inventée" lors de l'évolution pour lutter contre les parasites. En effet, les parasites se reproduisent très rapidement (bactéries...) est peuvent donc évoluer pour s'adapter au cours de la vie de leur hôte. Si l'hôte a des descendants qui sont des clones, les parasites seront donc pré-adaptés à ces clones. Si la reproduction est sexuée, la progéniture est différente, et le parasite doit recommencer à zéro ou presque.

8.4.4                          Qui est la femelle et qui est le mâle?

Par définition, la femelle est celui des deux organismes qui produit les gamètes (cellules sexuelles) les plus grands. Le mâle, de son côté, est celui qui produit des gamètes petits. (La différence entre les gamètes est appelée anisogamie. Voir à ce propos l'image d'ovule de hamster fertilisé par un spermatozoïde). J'avais mentionné précédemment que cette différence de dimension a probablement résulté d'une sélection disruptive provenant de pressions de sélection divergentes favorisant (a) les individus dont les gamètes se développaient mieux après fertilisation (réserves de nourriture, donc taille plus grande) et (b) les individus dont les gamètes sont efficaces quand il s'agit de fertiliser d'autres gamètes (nombre, mobilité, voire agressivité, donc taille petite).

8.4.5                          L'investissement parental en tant que SES

La plupart des animaux ne font pas d'efforts destinés à augmenter les chances de survie de leur progéniture. La raison en est que lorsqu'il s'occupe de ses petits, un animal doit renoncer à d'autres activités profitables, comme par exemple se nourrir ou trouver d'autres partenaires sexuels.

L'investissement parental est le temps et l'énergie et les risques qu'un parent investit dans un enfant et qui diminue les chances que ce parent va avoir d'autres enfants dans le futur. Ce terme a été inventé par Robert Trivers pour mettre en évidence le fait que s'occuper de ses enfants implique aussi bien des bénéfices que des coûts (les uns et les autres en termes de reproduction!).

Considérons l'avantage de chacun des parents: Les stratégies de reproduction idéales pour maximiser la fitness darwinienne sont les suivantes:

·        Pour la femelle: Pondre un maximum d'oeufs et laisser le mâle s'en occuper et élever les jeunes. En effet, pondre des oeufs est énergétiquement coûteux, il est donc avantageux pour la femelle qu'elle puisse rapidement "se refaire" en termes d'énergie (nourriture) de manière à avoir les ressources pour de nouveau oeufs.

·        Pour le mâle: Féconder un maximum de femelles (ou d'oeufs) et laisser la femelle élever les petits. En effet, le mâle, qui investit peu en énergie dans ses gamètes, a tout intérêt à maximiser sa descendance en multipliant les fécondations.

Il y a une différence entre stratégies idéales et stratégies réalisables: en effet, la meilleure stratégie pour un sexe dépend de la stratégie adoptée par l'autre, et des coûts et bénéfices qui sont liés aux particularités de reproduction de l'espèce (par exemple, le coût de pondre des grands oeufs est plus élevé que le coût de pondre le même nombre de petits oeufs).

8.4.6                          Gains, bénéfices et stratégies (section pas détaillée en 2001-2002)

Sans entrer ici dans le détail, on observe les soins parentaux suivants:

Soient les paramètres suivants:

NS : Nombre d'oeufs pondus au cours de sa vie par une femelle qui soigne les petits (au détriment de la ponte suivante)

ND : Nombre d'oeufs pondus par une femelle qui déserte

PS0 : Probabilité de survie d'un oeuf élevé par zéro parent

PS1 : Probabilité de survie d'un oeuf élevé par un parent

PS2: Probabilité de survie d'un oeuf élevé par les deux parents

PA : Probabilité pour le mâle de s'accoupler à nouveau s'il déserte

 

Le mâle

La femelle

Espérance
mathématique, pour le mâle,
du nombre de petits
survivants

Espérance
mathématique, pour la femelle,
du nombre de petits
survivants

soigne

soigne

NS.PS2

NS.PS2

soigne

déserte

ND.PS1

ND.PS1

déserte

soigne

NS.PS1 + PA(NS.PS1) =

(1 + PA). (NS.PS1)

NS.PS1

déserte

déserte

ND.PS0 + PA(ND.PS0) =

(1 + PA). (ND.PS0)

ND.PS0

 

Prenons le cas où les deux désertent: pour que la stratégie soit stable, il faut que le gain (en descendants) soit plus élevé dans ce cas que dans la cas où l'individu soigne les petits, et ceci aussi bien pour le mâle que pour la femelle:

Pour le mâle, il faut donc que (1 + PA). (ND.PS0) > ND.PS1 ou, en simplifiant, que (1 + PA). PS0 > PS1

Pour la femelle, il faut que ND.PS0 > NS.PS1

Si ces deux conditions sont réunies, la meilleure stratégie est d'abandonner totalement les petits. Ce qui veut dire que si on observe chez une espèce actuelle que les petits sont totalement abandonnés, c'est qu'au cours de l'évolution qui a mené à cette espèce telle qu'elle est actuellement, ces deux conditions étaient réunies.

8.4.7                          L'investissement parental

Rappelons ici que, toutes choses égales par ailleurs, l'avantage pour le mâle c'est de féconder autant de femelles qui possible.

[McF-443] De manière générale, les femelles (par définition) investissent dès le départ plus que les mâles dans la production de l'embryon: les gamètes femelles (ovule, oeuf) sont plus grands que les gamètes mâles (spermatozoïdes). Avant même la fertilisation, une femelle investit plus d'énergie que le mâle par descendant: par exemple, l'homme produit 12 millions de spermatozoïdes à l'heure, alors que la femme naît avec un stock non renouvelable de quelque 400 ovules. Chez les oiseaux, un oeuf peut représenter 15-20% du poids de la femelle, voire même 30%. L'oeuf lui-même représente donc un coût considérable (la femelle, en se nourrissant, doit aussi nourrir son oeuf).

La majorité des animaux, vertébrés et invertébrés, se reproduit en pondant des oeufs. Le développement interne des embryons (viviparité) est typique des mammifères placentaires et apparaît sporadiquement dans d'autres groupes. chez les espèces aquatiques qui pondent des oeufs, la règle générale est l'abandon des oeufs (pas de soins). Bien sûr, il y a des exceptions.

Les soins parentaux peuvent avoir lieu avant la fertilisation, avant la ponte (ou naissance pour les vivipares), et/ou après la ponte (respectivement, la naissance).

Mâles et femelles participent à des degrés divers. En fait, dans l'ensemble du règne animal, les femelles assurent l'effort majoritairement; ceci est en particulier vrai pour les mammifères. Les exceptions concernent quelques invertébrés, poissons, amphibiens et oiseaux.

8.4.8                          Patrons de soins parentaux (pas donné en 2000-2001)

8.4.8.1                                   Invertébrés

L'exemple minimal est la ponte dans un endroit abrité. Il peut y avoir aussi approvisionnement d'avance des larves (cf. la guêpe Philantus triangulum de Tinbergen), et même soins effectifs aux larves (abeilles).

8.4.8.2                                   Poissons

Chez les poissons, on a un continuum complet, de rien à très élaboré.

Un exemple intermédiaire est celui des Salmonidés (saumons, truites), où mâle et femelle forment un couple avant le frai et la fertilisation, et creusent (surtout la femelle) un creux pour recevoir les oeufs. On se souviendra ici de l'épinoche à trois épines, chez qui c'est le mâle qui creuse et aménage le nid.

Chez d'autres espèces, la fertilisation est interne (les oeufs sont pondus déjà fertilisés, e.g. chez la carpe); chez d'autres encore, il y a viviparité (p.ex. chez les requins, où la nourriture de l'embryon est assurée par les réserves de l'oeuf, mais aussi dans l'utérus pour certaines espèces).

Les oeufs sont également transportés chez certaines espèces. Chez certains Cichlidés, les oeufs se développent dans la bouche de la femelle. Chez l'Hippocampe, c'est le mâle qui porte les petits dans une sorte de poche!

On a pu vérifier chez certaines espèces que le nombre d'oeufs pondus est inversément proportionnel au degré de soins parentaux.

8.4.8.3                                   Amphibiens

Le problème des Amphibiens, c'est d'éviter que les oeufs ne se dessèchent (alors que les Amphibiens sont devenus aérobies, leurs oeufs, au contraire de ceux des oiseaux, n'ont pas évolué en oeufs à coquille). La fertilisation est souvent externe. Diverses espèces transportent les oeufs d'un endroit à l'autre pour assurer leur humidité correcte (ce transport étant assuré par le mâle chez certaines espèces). Il existe même un crapaud vivipare, avec échanges métaboliques entre le sang du têtard et la circulation de l'oviducte de la femelle, à la manière des mammifères.

8.4.8.4                                   Reptiles

Chez les Reptiles il n'y a pas ou peu de lien de couple, et une faible territorialité sauf chez les Lézards et les Crocodiles. La fertilisation est interne; la plupart des espèces sont ovipares, mais on trouve des ovovivipares et des vivipares. L'oeuf est cléidoïque (à coquille). Les soins parentaux sont courants chez les Crocodiles (et donnés par la femelle), rares ailleurs (p.ex. les femelles du genre Python s'enroulent autour des oeufs et les chauffe en activant sa musculature)

8.4.8.5                                   Oiseaux

On ne trouve pas de viviparité chez les oiseaux. Les soins sont donnés par un parent, souvent par les deux. Ces soins sont très complexes (construction du nid, incubation...). Si la femelle seule couve, le mâle la nourrit. Le mâle joue un rôle important dans différentes familles, au point d'assurer seul les soins (de manière concomitante, on trouve alors parfois que ce sont les femelles qui font la cour aux mâles, p.ex. chez les Phalaropes). Dans d'autres familles, ce sont les femelles qui assurent la majorité des soins (ansériformes[20], galliformes, psittaciformes[21], strigiformes[22]). On pense que le patron de soins ancestral était caractérisé par des grands oeufs ne nécessitant que d'être mis à l'abri. Par la suite, l'évolution a favorisé des oiseaux plus petits (pour occuper d'autres niches, notamment arboricoles). La conséquence est des oeufs plus petits, avec moins de réserves: les petits naissent altriciels, et nécessitent plus de soins. Si la femelle est "débordée", l'évolution favorise l'intervention des mâles; finalement, elle favorise aussi le recours à des aides à domicile!

8.4.8.6                                   Mammifères

Chez les mammifères, la femelle (évidemment) allaite les petits et donc fournit l'essentiel des besoins de survie des tout-petits. Le mâle joue un rôle actif dans les soins parentaux seulement via l'apparition de couples monogames, chez 4% des espèces de mammifères.

Il y a trois types de soins maternels chez les mammifères:

·        les soins aux petits altriciels (rongeurs, chat, chien...) qui ne peuvent rien faire par eux-mêmes, même pas régler leur température: préparation du nid, allaitement, thermorégulation, aide à l'excrétion, protection contre les prédateurs.

·        les soins aux petits précoces (ongulés...): préparation du site de naissance, allaitement, défense contre les prédateurs, maintien du petit à proximité dans le troupeau.

·        le troisième type apparaît chez les primates, où les petits sont sans défense, mais ont les yeux et les oreilles ouverts, savent se thermoréguler, et savent aussi s'accrocher à la mère pour être transportés (beaucoup de primates vivent en groupes sociaux qui se déplacent pour se nourrir). Les soins sont allaitement, nettoyage, transport, protection.

8.4.9                          Pourquoi sont-ce les femelles qui font l'investissement parental?

Dans la vaste majorité des espèces, y compris l'espèce humaine, ce sont les femelles qui assurent majoritairement ou exclusivement les soins parentaux (cf. coléoptère ou chimpanzé). Pourquoi? Il existe (au moins) trois hypothèses[23] non exclusives l'une de l'autre. Notons cependant qu'un comportement parental paternel peut apparaître néanmoins quand les conditions sont telles que le gain en fitness dépasse les pertes (voir plus bas la punaise aquatique).

8.4.9.1                                   Incertitude de la paternité[24]

Chez les espèces à fécondation interne (par exemple beaucoup d'insectes, les reptiles, les oiseaux, les mammifères), le père ne peut jamais être sûr que c'est bien lui qui a fertilisé les oeufs de la femelle: lorsqu'un mâle a fécondé une femelle, il n'est pas sûr d'être le premier (ni le dernier).

Par contre, chez ces mêmes espèces, la mère est sûre à 100% que son investissement parental est bien offert à sa propre progéniture (en clair, elle est sûre que son enfant est bien le sien).

En termes de fitness darwinienne (ou de coûts et de bénéfices), l'investissement parental du mâle n'est rentable que proportionnellement à sa probabilité d'être le vrai père. Au cours de l'évolution, et particulièrement lorsque cette probabilité était basse, ceci s'est traduit par une plus faible probabilité que le comportement de parentage mâle se mette en place[25].

8.4.9.2                                   L'abandonabilité ("ordre des gamètes")

Si les soins parentaux sont avantageux pour les petits et qu'un parent y suffit, le premier qui peut les abandonner devrait logiquement le faire. En agissant ainsi, il force le second parent à rester auprès des petits.

Le premier des deux parents qui peut abandonner les petits le fait: il place alors le second parent devant deux possibilités: ou bien investir et s'occuper des petits, ou bien abandonner aussi. Si les soins parentaux (d'un seul parent) sont avantageux pour les petits, l'évolution va donc favoriser un parent qui, dans ces conditions, reste.

Selon cette hypothèse, la fertilisation interne devrait être fortement liée à l'investissement femelle (elle ne peut pas partir en premier!). On constate en effet que chez des amphibiens et des poissons, si la fécondation est interne, les femelles s'occupent des petits dans 86% des espèces; si la fécondation est externe, les femelles s'occupent des petits dans 30% des espèces.

Un des problèmes avec cette hypothèse est qu'elle est croisée avec celle concernant la certitude de paternité.

8.4.9.3                                   Le coût en occasions d'accouplement perdues[26]

Un animal qui s'occupe de ses petits perd des occasions de s'accoupler avec un autre partenaire. Ceci est vrai pour les mâles comme pour les femelles. Néanmoins, les coûts sont plus grands pour les mâles que pour les femelles (car le succès reproducteur des mâles dépend surtout du nombre de femelles qu'ils peuvent féconder: en clair, un homme peut avoir de nombreux enfants en multipliant ses partenaires – qu'on pense aux harems traditionnels[27] – alors qu'une femme ne peut pas faire plus d'enfants en ayant plus de partenaires!).

Puisque le coût relatif de rester est plus grand pour les mâles que pour les femelles, l'évolution favorisera la désertion par les mâles.

8.4.10                     Un exemple d'investissement paternel unilatéral: la punaise aquatique

Si une (ou plusieurs) des hypothèses ci-dessus (qui expliquent que les soins sont en général donnés par les femelles) sont valables, il est intéressant d'essayer de comprendre comment peuvent s'expliquer les exceptions observées.

Chez les punaises aquatiques géantes (des insectes de l'ordre des Hétéroptères[28], de la famille des Belostomatidés), ce sont les mâles (et les mâles seuls) qui s'occupent des oeufs et les maintiennent humides (par exemple, chez Belostoma fluminea, en les portant sur le dos et en "faisant des pompes" pour les baigner dans l'eau et les aérer). Pourquoi faut-il donc que les mâles s'occupent des oeufs? pourquoi faut-il s'occuper des oeufs, d'ailleurs?

1.     Les insectes les plus proches des Belostomatidés sont des Insectes typiques, sans comportement de soins parentaux. Ce comportement est donc apparu chez les Belostomatidés.

2.     Les Belostomatidés sont parmi les plus grands insectes du monde. La taille est un avantage pour ces prédateurs qui capturent des vertébrés (poissons, grenouilles).

3.     Pour être grands, ils ont avantage à naître de grands oeufs (cela réduit le temps de développement).

4.     Les oeufs étant plus grands que ceux des autres insectes aquatiques, ils ont de la peine à s'oxygéner dans l'eau. Il a sans doute été avantageux de les mettre à l'interface air-eau pour les oxygéner. Le problème est alors d'éviter qu'ils se dessèchent. La solution est de s'en occuper, de les baigner, etc.

5.     Les oeufs étant grands, ils sont coûteux à produire par la femelle: elle doit se nourrir bien plus qu'un mâle. Or, porter des oeufs limite la mobilité, donc la prédation. Le coût de s'occuper des oeufs serait donc plus grand pour la femelle que pour le mâle. C'est ce fait qui a dû pousser l'évolution vers un investissement parental exclusivement mâle.

8.4.11                     Comment augmenter la certitude de paternité

Comme on le verra plus tard, les mâles sont (en général) en compétition pour s'assurer une femelle. Suivant la forme que prend la compétition, elle influence la certitude de paternité (par exemple, si une femelle est fécondée par différents mâles, chaque mâle sera d'autant plus incertain d'être le père des petits à naître. Certains mécanismes viennent tempérer cela: ils vont du physiologique au comportemental.

8.4.11.1                               Sperm competition

De manière générale, même chez les espèces dont les mâles n'assurent pas de soins parentaux, il est avantageux de se reproduire soi-même au détriment des autres. (Si vous voulez, on peut étendre le concept de soin parental aussi au fait qu'il faut assurer la survie des petits en termes de ressources disponibles même si on n'est pas là pour s'en occuper!). Un individu mâle s'accouplant avec une femelle a tout intérêt à ce que ce soit bien ses propres rejetons qui seront produits: qu'il s'en occupe ensuite ou non – mais a fortiori s'il s'en occupe!

Dans les espèces où les femelles s'accouplent avec plusieurs mâles, il y a donc ce qu'on a nommé "sperm competition": la compétition (pour la fécondation) entre les gamètes des différents géniteurs mâles potentiels.

Chez la demoiselle à ailes noires (une libellule), l'organe sexuel du mâle (une sorte de pénis situé sous le thorax) se termine par une sorte de brosse. Lors de l'accouplement, le mâle introduit son pénis dans la spermathèque (chambre de stockage) de la femelle, et, par un mouvement de brossage, réussit à ôter 90-100% des spermatozoïdes qui s'y trouvent déjà; ensuite de quoi il dépose ses propres gamètes.

Chez les mammifères et les oiseaux, lorsque deux mâles s'accouplent avec la même femelle, c'est souvent (mais pas toujours) la quantité de spermatozoïdes qui détermine la proportion de bébés qui seront effectivement les rejetons de l'individu.

Chez les oiseaux polyandres[29], les testicules sont plus grands que chez les oiseaux monogames. Ceci pourrait s'expliquer simplement par le fait que chaque mâle doit inséminer plusieurs femelles; mais ce n'est pas le cas: la dimension des testicules est bien lieé à l'idée de compétition, et pas simplement au nombre de femelles à inséminer. Chez le Tétras centrocerque[30], qui se reproduit selon une polygynie à lek[31], le mâle peut s'accoupler avec une cinquantaine de femelles en quelques semaines, mais ses testicules sont tout petits: chaque femelle ne s'accouple qu'avec un mâle, il n'y a donc pas de compétition entre mâles en ce qui concerne la fécondation[32].

Il est intéressant de noter que chez les Primates aussi, la probabilité qu'une femelle s'accouple avec plusieurs mâles dépend de l'espèce. Chez les gibbons[33], le couple mâle-femelle est stable et sexuellement fidèle; chez le bonobo (chimpanzé nain), chaque femelle copule avec de nombreux mâles.

On peut ranger les grands singes en fonction de la promiscuité: elle est la moindre chez le gorille (la femelle ne s'accouple qu'avec un seul mâle), ensuite viennent les orangs-outans, et ensuite le chimpanzé. La prédiction de l'hypothèse de la compétition de sperme est que les espèces où la promiscuité est plus grande devraient avoir des testicules plus grands relativement au corps. Les données observées sont les suivantes:

espèce

gorille

orang

chimp

poids des testicules en % du poids du corps

0.02

0.05

0.27

 

Chez certains insectes, plutôt que de compter sur la compétition entre spermatozoïdes, le mâle, après avoir fécondé la femelle, bloque les organes génitaux de celle-ci par une sorte de bouchon (mating plug). L'équivalent arthropode de la ceinture de chasteté!

Cette méthode assez caricaturale a évidemment pour but d'empêcher la femelle de s'accoupler avec un autre mâle; mais il y a d'autres méthodes, comme par exemple surveiller sa partenaire, comme on va le voir ci-dessous.

8.4.11.2                               Mate guarding

Chez les oiseaux, où les mâles participent souvent aux soins des petits, il est important que le mâle soit aussi sûr que possible de sa progéniture. La façon la plus intuitive pour un mâle de s'assurer de la paternité des petits est de garder la femelle sous surveillance. Le guêpier à front blanc [34] forme une relation coopérative avec la femelle qui dure jusqu'au moment où les petits de la saison quittent le nid. La femelle pond 4-5 oeufs à raison d'un oeuf par jour, et elle est fertilisable durant la période de ponte. Durant cette période fertile, la femelle est harcelée par d'autres mâles, qui cherchent à "voler" une fécondation; durant cette même période, le mâle titulaire garde sa femelle: il s'accouple fréquemment, il vole pratiquement toujours avec elle quand elle quitte le nid (ce qui diminue d'un facteur 10 les risques de copulation pirate). Dès que la femelle a terminé de pondre ses oeufs, le mâle renonce à la garder et s'en va lui-même à la recherche de copulations pirates.

L'approche coût-bénéfices de ce comportement de garde produit l'attente que la garde sera d'autant plus ferme que l'opportunité de s'accoupler ailleurs va diminuer. En accord avec cela, on a montré chez un autre oiseau, la rousserolle turdoïde[35] que  le mâle garde d'autant plus assidûment sa femelle (fertile) que la saison avance (et que diminuent pour lui les chances d'attirer une seconde femelle): ceci se traduit par le fait qu'il chante de moins en moins (il ne peut pas garder et s'en aller chanter à la fois).

8.4.12                     La certitude de paternité chez l'être humain[36]

8.4.12.1                               Les conséquences de l'infidélité sexuelle en termes génétiques

L'infidélité sexuelle a des conséquences asymétriques en termes génétiques: Présentées ci-après avec pour acteurs le mari et la femme, elles sont tout aussi vraies, évidemment, si on remplace par "mâle" et "femelle" et qu'on parle d'animaux non humains.

8.4.12.1.1                                         Pour la femme

Une femme ne perd rien, en ce qui concerne son propre investissement parental, si son mari la trompe: en s'investissant dans ses enfants, elle va de toute manière promouvoir ses propres gènes,

Plus exactement (ou plus "évolutivement"!), ceux de ses gènes qui la motivent à s'occuper de ses enfants amplifient de toute manière leurs propres chances d'être présents dans les générations suivantes, donc ce comportement peut se répandre puis se maintenir dans la population même s'il y a souvent infidélité du partenaire.

8.4.12.1.2                                         Pour l'homme

Au contraire, l'homme risque d'élever un bâtard qui ne lui est pas apparenté[37]. Ceci veut dire qu'il va investir son énergie, etc., dans un enfant qui ne porte pas ses gènes, et qu'il va également être exploité par la femme (il va promouvoir ses gènes à elle, sans réciproque).

Dans une formulation plus évolutive, ceux de ses gènes qui le motivent à s'occuper de ses enfants, s'il y a infidélité de la partenaire, vont voir diminuer leurs propres chances d'être présents dans les générations suivantes, si des mécanismes "de sécurité" n'évoluent pas pour s'opposer à cela. Il faut rappeler ici que dans la très grande majorité (96%) des espèces de mammifères, il n'y a pas d'investissement parental mâle.

8.4.12.2                               "Sperm competition" chez l'homme?

8.4.12.2.1                                         La dimension des testicules

On peut compléter ici le tableau relatif à la dimension des testicules sous l'hypothèse d'un effet de la compétition de sperme:

espèce

gorille

orang

homme

chimp

poids des testicules

en % du poids du corps

0.02

0.05

0.08

0.27

On peut prendre ceci comme une indication que, au cours de l'évolution humaine, les femmes pouvaient avoir des relations sexuelles avec plus qu'un homme en l'espace de quelques jours.

8.4.12.2.2                                         Les études de Baker et Bellis[38]

Dans une optique adaptative, le nombre de spermatozoïdes inséminés doit logiquement correspondre à un optimum répondant à la fois au risque de "sperm competition" et aux besoins en économie. Ceci même en particulier à la prédiction que plus le risque de "sperm competition" est grand, plus grand devrait être le nombre de spermatozoïdes éjaculés.

Le pourcentage de temps que passent ensemble les partenaires est corrélé négativement (on le saisit intuitivement!) avec la probabilité que la femme ait une autre relation sexuelle (avec un partenaire différent), et en particulier avec la probabilité qu'elle ait des relations sexuelles avec deux partenaires en moins de 5 jours (l'empan de vie des spermatozoïdes une fois inséminés).

Cette corrélation négative intuitive est confirmée clairement dans les données de Baker & Bellis, par exemple:

% temps avec partenaire depuis la dernière copulation du couple

80-100%

51-60%

0-10%

N

78

381

314

% des femmes qui ont eu plus d'un partenaire

3.8%

6.7%

13.7%

% des dernières copul. qui ont eu lieu hors couple

0%

1.8%

9.8%

% des dernières copul. qui étaient une copul. double (deux partenaires diff. en moins de 5 jours, à sperm comp.)

0%

1.3%

4.0%

 

Dans les données de Baker & Bellis (le tableau ci-dessus n'en présente qu'une partie), on voit que le nombre de spermatozoïdes éjaculés croît avec le temps écoulé depuis la dernière copulation du couple (ça n'a rien d'étonnant) mais décroît avec le pourcentage de temps passé ensemble (ce qui est plus étonnant, mais cohérent avec l'hypothèse de la "sperm competition"). La meilleure équation prédisant le nombre de spermatozoïdes éjaculés, pour les données recueillies par Baker & Bellis, est:

NSEC = 357 + (1.94 ´ HDDC) - (3.40 ´ PTE)

où NSEC est le nombre de spermatozoïdes éjaculés durant la copulation (en millions), HDDC le nombre d'heures depuis la dernière copulation du couple (192 heures au maximum dans l'échantillon), et PTE le pourcentage de temps passé ensemble durant le temps précédent (pourcentage qui inclut le temps de sommeil)[39].

Le nombre de spermatozoïdes éjaculés lors de la masturbation, par contre, ne dépend que du temps écoulé depuis la dernière éjaculation, et pas des circonstances de la masturbation ou de l'éjaculation précédente!

NSEM = 12 + (4.63 ´ HDDE)

On peut interpréter ces données ainsi: Le nombre de spermatozoïdes éjaculés augmente quand il se pourrait que des spermatozoïdes d'un autre homme soient dans l'appareil reproducteur de la femme (en raison de la séparation du couple, il y a risque que la femme ait eu un rapport sexuel extra-conjugal).

Ce qu'il faut retenir, c'est que l'existence de tels mécanismes[40] ne s'explique (évolutivement) que si les humains ont une histoire ancestrale d'infidélité sexuelle (avec plus d'un partenaire, pour la femme, dans l'empan de vie des spermatozoïdes).

Notons en passant que le nombre de spermatozoïdes produits par l'homme (12.5 millions par heure) dépasse le nombre qu'il utilise effectivement avec sa partenaire (ce ne sont pas tous les spermatozoïdes qui sont éjaculés, puisqu'il y a ajustement). On ne sait pas encore quel est le rôle de cette rétention (insémination d'autres partenaires? avantages autres lors de l'insémination intra-couple[41]?)

8.4.12.3                               Mate guarding: la jalousie (BUS-325)

En psychologie, on tend à considérer la jalousie comme un comportement pathologique résultant d'un manque d'estime de soi. Lorsque la jalousie prend des proportions aberrantes, cette interprétation est sans doute correcte. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'il ne s'agit pas d'un comportement nouveau, seulement d'un comportement normal du répertoire humain dont le seuil est, dans ce cas, anormalement bas. En effet, la jalousie est un phénomène universellement humain, présent dans toutes les cultures, et aussi bien masculin que féminin (les deux sexes vivent la jalousie avec une intensité semblable). C'est ce que montrent plusieurs études interculturelles.

Néanmoins, une analyse en termes évolutifs mène à la prédiction que, bien que les deux sexes vont souffrir de la jalousie, ils vont différer en ce qui concerne le poids des déclencheurs de cette jalousie.

Dans le contexte de l'incertitude de la paternité et de l'investissement parental, on peut prédire que les hommes donneront davantage de poids que les femmes à l'infidélité sexuelle (alors que les femmes devraient donner plus de poids aux éléments indiquant une baisse à long terme de l'investissement, i.e. une implication émotionnelle avec une personne hors du couple – on y reviendra).

Buss (1992) a demandé à 511 étudiants de comparer deux événements imaginaires: (a) leur partenaire avait des relations sexuelles avec une tierce personne (b) leur partenaire s'impliquant émotionnellement avec une tierce personne.

 

hommes

femmes

trouvent l'infidélité sexuelle

plus dérangeante

60 %

17 %

trouvent l'infidélité émotionnelle

plus dérangeante

40 %

83 %

 

Ces tendances ont été confirmées par des études psychophysiques de laboratoire sur les indicateurs d'angoisse (modification du rythme cardiaque, de la conductance de la peau, du tonus du muscle fronceur des sourcils). Elles ont été répliquée aussi dans différentes cultures[42].

Les hommes et les femmes ont donc un mécanisme (différent) qui crée en eux des sentiments de jalousie; mais pour donner prise à l'évolution, les mécanismes psychologiques doivent avoir un résultat comportemental. Ici, ce serait d'empêcher la partenaire de commettre une infidélité ou de diminuer les risques qu'elle en soit tentée. Les enquêtes à ce sujet montrent que les hommes tendent, plus que les femmes, à cacher ou surveiller leur partenaire (cf. oiseaux; p.ex. en lui interdisant de l'accompagner à une fête où il y a d'autres hommes, en monopolisant son temps...), et utiliser la violence.

8.4.12.4                               Mate guarding bis: le mariage en question

Par rapport à certains autres primates, l'être humain a une particularité qui complique passablement le problème de la certitude de paternité: L'ovulation de la femme est cryptique. Le plus souvent, chez les autres femelles de mammifères, la période de fécondité (dite oestrus) s'accompagne de signaux indiquant cette fécondité. Les rapports sexuels ont lieu, en général, pendant cette période de fécondité. Ce qui veut dire que les mâles n'ont à garder la femelle que pendant une période féconde limitée (cf. fauvette ci-dessus). Avant et après l'oestrus, le mâle n'a pas besoin de garder la femelle sous surveillance; il peut donc d'autant mieux le faire pendant l'oestrus!

Comme nos ancêtres ne pouvaient guère passer tout leur temps à surveiller leur femme (il y avait d'autres choses à faire pour assurer la survie), une solution à ce problème a pu être apportée par le mariage: il fournissait à l'homme la possibilité d'avoir des contacts sexuels répétés avec la femme, donc d'augmenter ses chances d'être le père[43]. Evidemment, cela ne marche que sous l'hypothèse que la femme est suffisamment fidèle sexuellement; l'homme devait donc se donner les moyens de reconnaître des signaux de fidélité. La virginité pré-maritale pouvait en être un (en faisant l'hypothèse que la retenue sexuelle était stable dans le temps). Ceci expliquerait le poids donné à la virginité pré-maritale de la femme, une tendance qu'on trouve globalement dans le monde entier, mais avec des fortes variations culturelles (très demandée en Chine, Inde, Indonésie, Iran, Taiwan... et indifférente en Suède, Norvège, Finlande, Les Pays-Bas, l'Allemagne (de l'Ouest) et la France.

Il est à noter que le désir d'avoir une épouse vierge a décliné dans notre société à mesure qu'augmentait le potentiel de contrôle des naissances. En 1930 aux USA la virginité était considérée comme presque sine qua non.

8.4.12.5                               La ressemblance des bébés avec le père, selon les proches

Chez une espèce à fécondation interne comme la nôtre, la maternité est une certitude, mais la paternité doit s'évaluer. Il existe en particulier deux sources d'information à ce sujet pour le père: l'information sur la fidélité sexuelle de la partenaire (cf. jalousie), et la perception d'une ressemblance entre le père et son enfant.

Selon la logique évolutive, les mères ont intérêt à ce que le père de l'enfant (qu'il soit ou non le père génétique) pense être le père, ce qui devrait augmenter son désir d'investir émotionnellement et économiquement dans cet enfant. (encore une fois, ceci n'implique en rien la conscience de ce fait par les mères: évolutivement, il aura été avantageux pour les mères et leurs gènes qu'il y ait des mécanismes augmentant pour le père, à tort ou à raison, son impression d'être le père.)

[BUS-197] Daly et Wilson (1982) ont étudié 68 enregistrements vidéos de naissances aux USA et ont déterminé ce que les mères disaient juste après la naissance du petit: Dans 80% des cas, elles affirmaient que le bébé ressemblait au papa[44]. Exactement la même proportion a été trouvée par les mêmes auteurs au moyen d'un questionnaire envoyé aux nouveaux parents au Canada (130 questionnaires reçus en retour).

Les autres membres de la famille de la mère trouvaient une ressemblance avec le père à raison de 62% (pour les premiers-nés), mais seulement 52% pour les membres de la famille du père.

Cette étude a été répliquée au Mexique (Yucatan), avec des résultats semblables (plus marqués lorsqu'il s'agit d'un premier-né et/ou que les parents avaient été ensemble peu de temps)

En résumé, ces résultats sont cohérents avec l'hypothèse que les mères et leur famille essaient d'influencer la perception du père quant à sa paternité, sans doute pour encourager l'investissement parental (bien sûr, ils ne prouvent pas cette hypothèse!)

Mais, sans même parler du fait que ces tentatives soient conscientes ou non, s'agit-il d'une manipulation?

8.4.12.6                               La ressemblance des bébés avec le père, en réalité?

Christenfeld & Hill (1995) ont montré à 122 sujets des photos d'enfants (à 1 année, 10 ans et 20 ans) et des photos des parents de ces enfants (père, mère, séparément). On présentait au sujet la photo d'un enfant, et un triplet de photos de pères, et un triplet de photos de mères. La tâche pour le sujet était d'apparier l'enfant avec les deux bonnes photos. Au hasard, l'appariement aurait été de 33.3%. Les performances de ces "juges" n'ont jamais été meilleures que le hasard sauf pour l'appariement des enfants à 1 an (aussi bien filles que garçons) avec leurs pères (49.2%)

Si ces résultats se confirment, on pourra admettre trois explications (non exclusives l'une de l'autre):

1.     Evolutivement, les bébés ont eu avantage à ressembler à leur père génétique, ce qui a conduit à un plus grand investissement de sa part.

2.     Evolutivement, la sélection a favorisé des pères avec des marqueurs physiques qui s'exprimaient chez leurs enfants, assurant ainsi qu'ils dirigeaient leur investissement vers leurs enfants génétiques plutôt que vers les enfants d'autres hommes.

3.     Evolutivement, il a pu être avantageux pour la mère de supprimer l'expression physique de ses gènes dans l'apparence de l'enfant, si cela faisait que le père investissait davantage.

8.4.12.7                               Des adaptations encore d'actualité?

Comme vous pouvez bien l'imaginer, les hommes n'exercent pas un contrôle conscient sur le nombre de spermatozoïdes éjaculés. Il y a fort à parier que cette augmentation en nombre se produit même chez les hommes certains de la fidélité de leur partenaire; elle traduit une adaptation résultant de l'histoire évolutive de l'espèce humaine. Que cette adaptation en soit encore une actuellement est une autre affaire (i.e., les hommes ont-ils encore besoin de mécanismes relatifs à la certitude de la paternité?)

Néanmoins, Wrangham (1993), à partir d'un certain nombre d'études, a essayé d'estimer le nombre de partenaires par femelle et par naissance chez ces certaines espèces, y compris l'être humain:

espèce

gorille

homme

babouin

bonobo

chimpanzé

nombre de partenaires

sexuels de la femelle, par naissance

1

1.1

8

9

13


Il est troublant de constater que les statistiques américaines et européennes affirment que 10% des enfants ne seraient pas élevés par leur vrai père (cf. la première page du "Matin" du 25.4.2001; les manchettes titraient "Tests ADN: La grande angoisse des pères").

8.5       Intermède: La Sociobiologie[45]

Sans avoir l'air d'y toucher, nous sommes entrés dans ces dernières sections dans le domaine de la sociobiologie humaine (ou de la psychologie évolutive, qui est le même domaine sous un autre nom). Mais quelle est l'histoire de la sociobiologie, au fond?

8.5.1                          Définition de la sociobiologie

L'écologie comportementale (ou éco-éthologie) est, comme on l'a vu, l'étude de la relation évolutive entre le comportement d'un animal et son environnement.

La sociobiologie est cette partie de l'écologie du comportement qui explore les effets de l'environnement social sur l'évolution du comportement.

Sa perspective est historique et adaptative (identifier l'avantage reproducteur conféré par les éléments du comportement social), donc fonctionnelle, pas causale. (Pourquoi, pas comment)

8.5.2                          Les sociétés, des insectes aux vertébrés

Au départ, la sociobiologie résulte de l'union entre l'entomologie (étude des insectes) et la biologie des populations. On disposait sur les insectes sociaux d'une grande base de données non unifiées théoriquement (12'000 espèces sociales d'insectes).

Le concept clé de "Kin Selection" (1963) et des avances en biologie des populations (1971) ont permis l'émergence d'une théorie de la socialité chez les insectes. Cette théorie s'est assez naturellement étendue des insectes aux vertébrés: tous deux ont des sociétés de même degré et convergentes.

8.5.3                          Le scandale de Sociobiology

Le 15 février 1978, une jeune femme renversa une carafe d'eau sur la tête d'Edward O.Wilson alors qu'il allait prendre la parole au symposium annuel de l'American Association for the Advancement of Science. Même s'il arrive que les débats scientifiques soient houleux, c'est sans doute une des rares fois qu'ils ont pris une telle tournure! En outre, la cible de cette action était une victime improbable: un professeur de Harvard, autorité mondiale sur les fourmis et les insectes sociaux en général, auteur de Sociobiology: The New Synthesis (1975)

Cet ouvrage comportait 27 chapitres, dont 25 de zoologie, qui furent bien reçus. (le livre fut jugé en 1989 par la Animal Behavior Society comme le livre le plus important jamais écrit sur le comportement animal).

Par contre, le segment sur le comportement humain (30 pages sur les 575) a été plus mal reçu... comme le montre l'anecdote du pichet renversé sur la tête de Wilson (En réalité, seule une minorité de gens ont réagi négativement, mais alors de manière bruyante!) Gould et Lewontin, chefs de file de l'attaque, firent la critique que la théorie de Wilson pouvait être utilisée pour justifier les inégalités sociales, et que ce n'était que de la pseudoscience. Selon eux, cette approche se caractérisait par:

·        un réductionnisme inapproprié (le comportement social humain réductible à la biologie)

·        un déterminisme génétique (la nature humaine est dans nos gènes)

 

Or, le réductionnisme est la méthode de base de la science. Et Sociobiology mettait l'accent aussi sur la synthèse et une approche holistique et interactionniste. Wilson n'a jamais nié le rôle de la culture: la génétique biaise le développement mental, mais ne peut abolir la culture.

Quant au déterminisme génétique, cette critique tombe à côté. Aucun biologiste (socio ou non) ne pense que les gènes déterminent le comportement, puisque les gènes ne s'expriment qu'en interaction avec d'autres éléments, tous environnementaux, du sens restreint – environnement chimique des gènes – au sens large. La sociobiologie ne repose pas sur la prémisse que le comportement est déterminé génétiquement, ou inflexible. Elle repose sur la prémisse que la génétique influence le comportement jusqu'à un certain point.

8.5.4                          Pourquoi ces attaques?

Du point de vue de la sociologie de la science, il faut comprendre qui étaient les critiques: des intellectuels marxistes. Leur idée: la seule nature humaine est un esprit indéfiniment flexible (l'origine de cette position politique, et pas scientifique: Dans la position marxiste standard, la politique économique idéale est le socialisme, et seul un esprit indéfiniment flexible – non biaisé d'avance vers l'égoïsme – peut s'y soumettre).

Par la suite, un 2ème groupe s'est joint aux marxistes: la nouvelle gauche, sur la base d'une autre objection, liée à la justice sociale: Si les gènes prescrivent la nature humaine, donc des différences inéradicables peuvent exister en personnalité ou capacités. Penser le long de ces lignes, c'est la porte ouverte au racisme, au sexisme, à l'oppression de classes...

On peut comprendre cette crainte, et cela d'autant plus qu'une telle application (politique, et pas scientifique) de la théorie de Darwin avait déjà été tentée au début du 20ème siècle sous le terme de darwinisme social. Ses tenants prétendaient justifier, c'est-à-dire maintenir, les inégalités sociales en les expliquant comme résultat de la sélection "naturelle" des plus forts.

Ces objections tendent à passer de mode, mais il reste chez les tenants des sciences sociales une source de scepticisme, basée sur l'idée que la culture serait le seul artisan de l'esprit humain (donc qu'on peut ignorer la biologie).

Les suites de ce début tapageur furent qu'encore aujourd'hui, la sociobiologie, pour le grand public, a un côté légèrement suspect, qu'elle est une discipline controversée. La controverse est courante en sciences, mais l'essentiel des inquiétudes des gens provient d'une perception erronée de ce qu'est, ou dit, la sociobiologie (en raison des critiques souvent malhonnêtes qui ont été avancées) (voir ALT-5)

En plus de ces débuts, la lenteur avec laquelle la sociobiologie humaine (maintenant souvent appelée psychologie évolutive[46]) s'est imposée tient surtout à la grande division entre disciplines, qui date du 19ème siècle et perdure aujourd'hui. La sociobiologie amène, à l'étude du comportement humain, la dimension évolutive, qui est peu familière et perçue comme menaçante, en raison de cette division.

8.5.5                          La jonction entre psychologie et biologie

Néanmoins, aux confins entre domaines, il y a des disciplines qui tentent la jonction: les neurosciences cognitives, la psychologie cognitive, la génétique humaine, et la psychologie évolutive.

Les deux sciences cognitives cherchent à expliquer comment les cerveaux fonctionnent; la génétique, comment l'hérédité fonctionne; et la psychologie évolutive cherche à expliquer pourquoi les cerveaux fonctionnent comme ils fonctionnent (de quelles adaptations ils sont le résultat).

La nature humaine est approchée par ces disciplines frontière: La nature humaine n'est pas les gènes qui la prescrivent; elle n'est pas non plus les universaux culturels, qui sont son produit; la nature humaine est dans les régularités (héritées) de développement mental. Ce sont des biais génétiques:

·        dans la façon qu'ont nos sens de percevoir le monde,

·        dans le codage symbolique utilisé par notre cerveau pour représenter le monde,

·        dans les options que nous nous offrons à nous-mêmes,

·        dans les réponses que nous trouvons le plus facile et le plus gratifiantes à faire.

8.5.6                          L'intérêt de la sociobiologie pour le psychologue

Alors que dans les sociétés préhistoriques la culture et la biologie étaient encore très fortement en phase (comme elles le sont dans les rares sociétés de chasseurs-cueilleurs qui subsistent encore), durant ces derniers 10'000 ans environ la culture a subi une accélération qui l'a rendue passablement indépendante de la biologie. Mais contrairement à ce que les sciences sociales tentent de faire croire, la culture n'a pas oblitéré la biologie. D'une part, l'évolution de la culture est biaisée par la biologie, mais d'autre part, quand elle a évolué selon ses propres règles et s'est partiellement éloignée du biologique, ce décalage est source de conflits croissants pour l'individu: L'identité d'un individu (et ses aspirations et idéaux) définie culturellement et son identité biologique, inscrite dans les biais mentionnés ci-dessus, se trouvent sans doute souvent en déphasage. Au fond, le ça de Freud ne correspondrait-il pas, au moins partiellement, à notre identité biologique[47]?

De toute évidence, le meilleur moyen d'appréhender ces conflits et de tenter de se donner des moyens pour les résoudre n'est pas de nier leur existence en niant le biologique!

Je vous propose la spéculation suivante: Des indications comme la sperm competition chez l'homme (et le dimorphisme sexuel, l'homme étant plus grand que la femme) montrent que dans notre histoire évolutive, il y a eu tendance à l'infidélité sexuelle, aussi bien masculine que féminine (et que ces tendances étaient adaptatives). Ces tendances "historiques" (dont on ne peut pas dire si elles sont encore adaptatives ou non) marquent toujours notre comportement à présent, dans une société qui met en valeur, au contraire, la monogamie et la fidélité sexuelle. L'existence de phénomènes sociaux comme la prostitution féminine est le résultat direct de ce conflit: la prostitution n'est pas une exploitation directe de la femme-prostituée par l'homme-client (on pourrait aussi bien dire que c'est une exploitation de l'homme par la femme[48]), c'est plutôt une exploitation éhontée de la femme par la société, puisque la prostituée est socialement dévalorisée chez nous (faut-il rappeler que dans certaines sociétés et notamment dans l'Antiquité, les prostituées étaient, au contraire, socialement valorisées?) Evidemment, si la société est sous l'influence des hommes plus que des femmes, on retrouve une exploitation de la femme par l'homme dans la prostitution, mais de manière indirecte, au travers des structures de pouvoir. Cette distinction est importante.

L'explication biologique supposée, s'il y en a une, est une information; elle n'est en elle-même ni une justification ni une condamnation morale. Elle n'est pas non plus le signe qu'il faut baisser les bras parce que le comportement est "dans la nature humaine", et donc non susceptible d'être modulé (pourquoi un héritage culturel serait-il plus facile à gérer ou contrôler ou supprimer qu'un héritage biologique?). Cette confusion entre explication et morale, entre biologie et fatalité, perdure avec obstination[49].

On retiendra ici le commentaire de Daly et Wilson, à propos de la tendance des sciences sociales à réduire les différences entre hommes et femmes à des effets culturels:

Nous pensons que ce type d'affirmations sont motivées non par un raisonnement scientifique, bon ou mauvais, mais par des bonnes intentions et de la mauvaise philosophie, qui se lient pour produire la conviction que l'égalité humaine (un objectif moral) repose d'une manière ou d'une autre sur l'équipotentialité humaine.

8.5.7                          Psychologie évolutive: Enfants d'un autre lit, maltraitance et infanticide

Ayant explicité la filiation et le sens de l'approche sociobiologique du comportement humain (i.e., la psychologie évolutive), nous pouvons revenir à ce comportement et à des tentatives d'explication. Toujours en lien avec le concept de certitude de paternité des sections précédentes, nous pouvons nous demander maintenant quelles sont les conséquences de la certitude de non-paternité.

8.5.7.1                                   Le problème du parent de substitution

La marâtre de Blanche-Neige (ou celle de Cendrillon)... ou un équivalent se retrouve dans des cultures aussi diverses que les Irlandais, les Indiens, les Aléoutiens, les Indonésiens.

[BUS-196] Comme le disent Daly et Wilson (1988), la prédiction la plus évidente d'une interprétation darwinienne des motifs parentaux est celle-ci: des parents de substitution tendront généralement à être moins concernés par le bien-être des enfants que des parents naturels (...). L'investissement parental est une ressource précieuse, et la sélection a dû favoriser les psychologies parentales qui ne la dilapidaient pas pour des non-apparentés.

Attention: On ne parle pas ici des personnes qui ont décidé d'adopter un enfant[50]! Mais bien du cas où une personne adopte "involontairement" un enfant apporté dans le couple par son/sa partenaire et né d'une autre union (famille dite "recomposée" ou "reconstituée").

8.5.7.2                                   Les sentiments des parents de substitution

Une étude conduite à Cleveland (Ohio) chez des gens de classe moyenne sans dysfonctions particulières (et confirmée à Trinidad) a trouvé que seuls 53% des beaux-pères (dans le sens de: second mari de la mère) et 25% des belles-mères affirment avoir des sentiments parentaux envers les enfants adoptifs. La relation parent-substitut – enfant est marquée par des antagonismes, et une bonne partie de la littérature tout-public destinée aux familles recomposées concerne la gestion de ces antagonismes; on conseille même parfois de renoncer  à l'idéal de devenir une famille nucléaire. (Ceci ne veut pas dire que des sentiments d'amour parentaux, et un investissement de ressources en général, ne peuvent pas exister dans ce cas, seulement qu'ils sont moins probables, et plus difficiles à obtenir)

8.5.7.3                                   La violence dans les familles recomposées

Les statistiques concernant la maltraitance en général ne précisent pas si la famille est nucléaire ou recomposée, et la plupart du temps les sources originales même (rapports de police, etc.) ne permettent pas de le savoir. Ceci montre bien que depuis des années on a perdu (ou voulu mettre de côté) l'idée d'une influence de la biologie sur la psychologie.

Néanmoins, Daly et Wilson ont pu analyser d'une part les violences faites aux enfants dans 841 familles (enfants de 16 ans ou moins) et 99 enfants victimes de maltraitance et placés en institution. Les résultats montrent une tendance 40 fois plus grande à la violence envers les enfants dans les familles recomposée que dans les familles génétiques[51] (même si on corrige pour la pauvreté et le statut socio-économique).

En fait, le tableau est encore plus sombre que cela: on le retrouve pour 408 infanticides (enfants tués par leurs parents génétiques ou beau-père/belle-mère) survenus au Canada sur une période de 10 ans. Sur la base de cette étude et d'autres, Daly et Wilson concluent que les risques d'infanticide pour des enfants d'âge préscolaires sont de 40 à 100 fois plus grands d'être tués par leur beau-père/belle-mère que par leur parent génétique[52] (là aussi, après correction pour les facteurs socio-économiques, etc.).

8.5.8                          Des infanticides chez l'animal?

L'idée que des insectes puissent manger des œufs de conspécifiques – au fond, c'est de l'infanticide –  ne nous dérange en principe pas. Par contre, nous avons vu précédemment dans le cours que les souris mâles passent par une période infanticide juste après l'accouplement avec la femelle.. et l'idée que des souris mâles tuent des bébés souris nous met déjà plus mal à l'aise. Nous pensons en général que le comportement animal sert le bien de l'espèce[53], et donc que les actes (particulièrement d'animaux supérieurs) ont pour but de rendre service au groupe, ou d'assurer sa cohésion.

Il nous est difficile d'imaginer les Primates, en particulier, si proches de nous, dans le rôle de l'infanticide. L'image d'un babouin chacma[54] en train de se nourrir n'évoque rien de répugnant, jusqu'au moment où on observe de près la nature de son repas. Cette répugnance a fait que le phénomène de l'infanticide chez les Primates a longtemps été contesté (il n'est pas facile d'observer les infanticides en nature en direct, et souvent les preuves en sont indirectes), ou, dans le cas où il était constaté, il était attribué à une pathologie (due à une trop grande densité de population, ou au contact avec l'être humain, ou aux conditions de captivité, etc.).

En fait, l'infanticide est étonnamment répandu – nous y reviendrons plus tard –, et pour le comprendre, il va falloir s'attacher d'abord à explorer le conflit fondamental qu'il y a entre mâles et femelles (conflit que nous avons déjà suggéré entre les lignes), et ses conséquences. Ceci fera l'objet de la section suivante.

8.6       La sélection sexuelle

[RID-296] La queue du paon: Un paon pourrait aussi bien féconder une femelle s'il était dépourvu de ses plumes de queue. Or, cette queue réduit la mobilité et la puissance de vol de l'animal, elle le rend plus visible pour les prédateurs, et son élaboration comporte un prix énergétique. Pourquoi un tel caractère n'est-il pas éliminé par la sélection?

8.6.1                          Illustration I: L'oiseau satin[55] (cf. vidéo)

On trouve les oiseaux à berceau en Nouvelle-Guinée et en Australie. La famille des Ptilonorhynchidés compte 18 espèces; dans 14 d'entre elles, le mâle réalise un "berceau" en décorant le sol préalablement déblayé ou en y construisant des "berceaux" de type différent selon l'espèce (p.ex. les berceaux-allée débouchent sur une esplanade où sont exposées des décorations: coquilles, cailloux, plumes, objets manufacturés). Les berceaux ne sont pas des nids! La femelle explore les berceaux et décide si elle accepte ou non de s'accoupler avec le constructeur. Dans l'affirmative, elle pénètre dans le berceau juste le temps de l'accouplement, qui est très bref. La femelle s'en va ensuite pondre ses œufs (2, dans un nid situé hors du territoire du mâle) et élever les jeunes sans l'aide du mâle. Le mâle, quant à lui, continue à améliorer son berceau pour y attirer d'autres femelles.

Il s'avère que le succès des mâles est lié à la qualité du berceau (les plus réguliers, aux parois les plus parallèles) et de sa décoration (il y a corrélation entre nombre d'éléments décoratifs et succès sexuel du mâle).

Comment expliquer que ce comportement de construction de pures décorations, et un choix aussi discriminatif par la femelle, aient pu être mis en place par l'évolution?

8.6.2                          L'investissement parental asymétrique mène à des intérêts divergents

8.6.2.1                                   Les femelles sont une ressource rare à cause de l'investissement parental

De manière générale, l'investissement parental global plus élevé chez les femelles implique des différences dans le taux potentiel de reproduction des mâles et des femelles. Chez les oiseaux, par exemple, la production des oeufs représente un coût immense pour la femelle. Quant aux mammifères, le développement de l'embryon in utero, puis son allaitement, représentent un coût également immense, par rapport au coût que cela implique pour le mâle.

Cela veut dire en particulier que les femelles passent plus de temps "en-dehors de la boucle de reproduction" que les mâles, et qu'elles sont donc une ressource rare pour les mâles[56]. Pour chaque femelle prête à être fertilisée, il y aura beaucoup de mâles. Le succès reproducteur des mâles sera limité surtout par l'accessibilité des partenaires femelles.

8.6.2.2                                   Etant rares, les femelles font un choix

Dans ces conditions, on peut prévoir que les mâles vont chercher à s'accoupler avec le plus de femelles possible.

Par contre, comme on l'a déjà dit, les femelles ne sont pas limitées par le nombre de partenaires, mais plutôt par les ressources qui limitent le nombre de petits qu'elles peuvent produire. Elles n'auront pas d'avantage à recevoir des gamètes d'autant de mâles que possible[57] (les accouplement présentent un coût, par exemple énergétique...). Par contre, elles peuvent améliorer leur succès reproducteur en s'appariant préférentiellement avec des partenaires de viabilité supérieure (les mâles qui leur donneront le plus de descendants sur plusieurs générations).

8.6.3                          La sélection sexuelle

8.6.3.1                                   Encore Darwin

Lorsque les membres d'un sexe sont en compétition pour l'autre, qui est une ressource limitée, et que cet autre sexe exerce un choix sur les premiers, les conditions sont réunies pour qu'il y ait ce que Darwin a appelé la sélection sexuelle (ALC-439).

En effet, Darwin se posait aussi la question mentionnée plus haut (pourquoi un caractère désavantageux comme la queue du paon – morphologique ou comportemental – n'est-il pas éliminé par la sélection). C'est lui qui, le premier, a apporté une réponse à cette question . Il a compris que cela s'expliquait par la sélection sexuelle: Un caractère mâle résultant de la sélection sexuelle n'est pas explicable par la compétition pour la survie, mais par l'avantage sur les autres mâles qu'il confère à son porteur, dans la compétition pour des partenaires sexuels. Dans cette conception, la perte de fitness (le désavantage reproducteur) imposé par le caractère – p.ex. la queue du paon – est plus que compensé par l'avantage en reproduction.

8.6.3.2                                   Un volet de la sélection naturelle

La sélection sexuelle est un volet particulier de la sélection naturelle, et, évidemment, toutes deux opèrent de la même manière (il faut qu'il y ait chez les individus des variations héritables, causant des différences dans le nombre de descendants survivants). Mais il est utile de la considérer à part, pour comprendre les conséquences sélectives des interactions sexuelles à l'intérieur de l'espèce. En la considérant à part, on rend compte du rôle important des forces sélectives d'origine sociale.

8.6.3.3                                   Compétition entre mâles et choix par les femelles

[ADA-85[58]] Darwin avait également déjà décrit les deux éléments-clés de la sélection sexuelle: la compétition entre les mâles pour l'accès aux femelles et le choix des mâles effectué par les femelles.

8.6.3.4                                   Le conflit entre sexes

En raison de ce qui précède, dans la plupart des cas, les préférences des femelles et les intérêts des mâles divergent, et ce conflit d'intérêts a de profonds impacts: il a mis en place évolutivement une course aux armements entre les mâles, qui veulent forcer les femelles à se reproduire avec eux de manière non discriminative, et les femelles, qui veulent éviter cela et pouvoir choisir.

8.6.3.5                                   Dimorphisme sexuel et polygynie

Une observation renforçait cette idée: Darwin avait constaté un lien entre dimorphisme sexuel (la différence entre mâle et femelle) et polygynie. Les espèces où les mâles sont vivement colorés, de grande stature ou dangereusement armés sont le plus souvent polygynes; par contre, les espèces où le mâle et la femelle sont semblables sont le plus souvent monogames[59][RID-298]. On en a un bon exemple chez les pinnipèdes[60].

8.6.3.6                                   Lien entre investissement parental et rôles sexuels

Pour savoir si c'est effectivement l'investissement parental qui détermine généralement les rôles sexuels (qui est compétition; qui choisit), on peut essayer de vérifier cette hypothèse par la méthode comparée, voire même en manipulant certaines conditions environnementales.

Ainsi, chez certaines espèces, c'est le mâle qui assure l'investissement parental majeur, et c'est la femelle qui a le potentiel reproducteur le plus élevé. On peut s'attendre à ce que les rôles sexuels soient inversés: ce sont les mâles qui choisissent la femelle.

Par exemple, chez les criquets mormons (qui ne sont pas des criquets, mais des katydides), le mâle, lors de l'accouplement, transfère un immense spermatophore comestible à la femelle. Pour la femelle, consommer le spermatophore est avantageux (on a montré que la non-consommation réduit chez la femelle le nombre d'œufs de 30%); mais le spermatophore est coûteux pour le mâle: il représente 25% de son poids! Très probablement, un mâle ne peut s'accoupler qu'une fois; par contre, les femelles peuvent produire plusieurs pontes, si elles trouvent des mâles.

Dans des populations à haute densité, lorsqu'un mâle se met à chanter, de nombreuses femelles viennent et se chahutent pour pouvoir monter sur le mâle, ce qui prélude au transfert du spermatophore. De plus, les mâles refusent souvent de transférer le spermatophore: ils acceptent d'autant mieux que la femelle est plus grande (et donc porte plus d'oeufs). On constate bien que celui qui est la ressource limitée (ici, le mâle) effectue un choix discriminatif sur l'autre sexe (qui voudrait s'accoupler de manière non discriminative).

Bien mieux: on peut modifier les rôles sexuels de ces animaux! Si on prend deux groupes de criquets mormons (24 m et 24 f par cage, 4 cages par situation) et qu'on les nourrit différemment, on trouve:

nourriture

pauvre

abondante

explication

situation normale:
les F sont demandeuses, les mâles choisissent, les F s'affrontent

sit. enrichie:
les M ne sont plus une ressource rare (facile de prod. un spermatophore). Les M sont demandeurs, les F choisissent.

n. moyen de mâles chantant en même temps, par cage

0.4

6.6

n. d'accouplements par femelle

1.3

0.7 (les femelles choisissent, donc rejettent davantage)

% d'interactions "mâle choisit"

40 %

<10%

% d'interactions "femelles s'affrontent"

20 %

0

 

On constate que les rôles sexuels, dans ce cas, ne sont pas fixes: il dépendent effectivement des taux reproducteurs potentiels.

8.6.3.7                                   La compétition entre mâles est claire, le choix par les femelles, moins.

Le premier élément (la compétition entre mâles) ne fait pas de problème (qu'on pense aux affrontements entre mâles chez le cerf, ou au brossage de la spermathèque chez la Demoiselle à ailes noires).

Par contre, Alfred Russel Wallace[61] contestait le rôle du choix des femelles: il pensait que les femelles n'avaient pas les qualités cognitives requises (sauf chez l'être humain, bien sûr) pour distinguer un mâle d'un autre.

Aujourd'hui, on sait qu'il n'en est rien: il y a bien un choix fait pas les femelles. Néanmoins, on cherche toujours à s'expliquer les raisons exactes du processus de choix chez les femelles.

8.6.4                          Le choix des femelles quand des bénéfices matériels sont en jeu

Dans de nombreux cas, l'aptitude du mâle à rapporter de la nourriture et divers matériaux (p.ex. des matériaux de construction de nid) semble être le critère essentiel pour la femelle; ou bien, l'aptitude prévisible du mâle à s'investir pour participer aux soins des jeunes, ou encore son aptitude à assurer la propre défense de la femelle[62]. Ces cas sont relativement faciles à comprendre.

8.6.4.1                                   Apport de nourriture à la femelle

[ALC-459] Chez certaines mouches (Empididés[63]), comme l'espèce Empis tesselata de nos régions, le mâle offre un cadeau nuptial à la femelle (suivant les espèces, ce cadeau va de l'insecte fraîchement tué à un ballon de soie non comestible). Ainsi, la mouche Bittacus apicalis mâle offre une proie comestible en guide de cadeau nuptial à la femelle. Les femelles de cette espèce n'acceptent pas n'importe quoi: elles refusent de s'accoupler avec le mâle si la proie n'est pas comestible; mieux encore, si la proie est comestible, la femelle laissera le mâle s'accoupler avec elle plus longtemps si le cadeau est plus conséquent (car l'accouplement dure autant que le repas)! Ceci influencera la quantité de spermatozoïdes transférés (en-dessous de 5 minutes, c'est zéro; pire encore, si le repas n'a duré que 12 minutes, la femelle laisse son mâle et s'en va chercher un autre).

8.6.4.2                                   Détection d'indices de faiblesse

Chez le diamant mandarin, on a montré que la femelle préfère les mâles symétriques (même quand la symétrie ou la dissymétrie résultent de bagues colorées oranges (O) ou vertes (G) sur les pattes, la femelle passe plus de temps près du mâle symétrique!). La non-symétrie est un indice de perturbation lors du développement (perturbation de l'homéostasie développementale qui empêche le développement égal des deux moitiés du corps). Ceci pourrait être un indice de faiblesse rendant le mâle moins propre à aider la femelle. (Noter que chez l'être humain, de nombreux facteurs environnementaux défavorables – y compris les parasites – produisent des asymétries, et, en termes de beauté, les visages asymétriques sont jugés moins beaux que les visages symétriques [BUS-141])

8.6.5                          Le choix des femelles quand il n'y a pas de bénéfice visible

Mais dans d'autres espèces, le mâle n'aide pas la femelle (pas de spermatophore comestible, pas de protection, pas de territoire, pas d'investissement parental...): chez l'oiseau satin, le mâle n'apporte en tout et pour tout, en tant qu'investissement, que son sperme! Or, même dans ces cas-là, les femelles montrent des préférences affirmées pour certains mâles. Pourquoi?

Encore plus étonnant: Certains caractères du mâle sont manifestement défavorables: les plumes disproportionnées de la queue du paon ou de l'oiseau de paradis représentent un handicap. Comment expliquer que l'évolution ait fini par faire que la femelle choisit un mâle présentant un handicap? Il existe plusieurs hypothèses.

8.6.5.1                                   Hypothèse 1: Un simple emballement évolutif

[RID-298] Fisher a supposé qu'au départ, les queues des mâles étaient plus courtes et non coûteuses; il a supposé aussi que les femelles s'accouplaient au hasard. Supposons qu'à l'époque il y avait une corrélation positive (accidentelle[64]) entre longueur de queue et probabilité de survie des mâles. Dans ce cas, la sélection joue en faveur d'une femelle qui choisirait les mâles à queue plus longue (les fils auraient un avantage en termes de survie).

La mutation commence alors à se répandre. Côté fils, elle concerne la longueur de la queue, et, côté filles, elle concerne la préférence des femelles. Les mâles à longue queue ont donc un double avantage: en termes de survie, et parce qu'ils sont plus souvent choisis par les femelles. L'évolution de la longueur de la queue et l'évolution du choix des femelles se renforcent l'une l'autre, en un processus que Fisher a appelé un emballement évolutif[65].

L'évolution du caractère (en termes de fitness) peut atteindre un optimum, puis, en raison de l'emballement, dépasser cet optimum; mais l'emballement ne s'arrêtera pas facilement (en raison de sa nature en boucle); il ne cessera que lorsque l'accroissement de mortalité des mâles (dû aux ornements encombrants) deviendra plus fort que l'avantage qu'ils ont à être choisi préférentiellement par les femelles.

On voit ici que la sélection sexuelle peut aboutir à maintenir un caractère devenu inadaptatif.

8.6.5.2                                   Hypothèse 2: les bons gènes[66]

8.6.5.2.1                                             Contexte: la communication dans une situation de conflit

Rappel: On peut supposer un conflit d'intérêts entre mâles et femelles. Les mâles ont intérêt à s'accoupler avec le plus de femelles possibles; les femelles, à choisir de manière discriminative le mâle le plus rentable (quoi que cela veuille dire).

Dans ce contexte, on avait mentionné que les pressions de sélection mènent à des signaux honnêtes (non trompeurs).

8.6.5.2.2                                             Des signaux honnêtes

Les femelles, selon cette hypothèse, devraient favoriser les mâles qui paradent avec intensité et/ou dont le plumage est éclatant: deux manifestations de santé et de résistance aux parasites. Les démonstrations des mâles, leur plumage chatoyant, et leurs berceaux ornés seraient donc apparus, au cours de l'évolution, parce qu'ils renseignaient de manière honnête les femelles sur les qualités génétiques des mâles. (Rappelez-vous: la femelle épinoche préfère le mâle au ventre le plus rouge, et on sait que le rouge vif ne peut être produit que par un mâle en bonne santé. De plus, si même rouge vif – et donc très visible – le mâle a échappé aux prédateurs, c'est qu'il a des qualités autres que le rouge).

8.6.5.2.3                                             Des signaux tout court

Dans une optique où on pense que le parasitisme est une forte pression de sélection (cf. la justification de la reproduction sexuelle), Hamilton a suggéré que les colorations brillantes des mâles donnent aux femelles les moyens de reconnaître les plus résistants. Un oiseau parasité ne peut pas entretenir un plumage éclatant, ne peut pas faire des parades complexes et longues, etc.

Chez les oiseaux, il existe un lien entre parasitisme et éclat du plumage des mâles: Si on compare diverses familles (au sens taxonomique)[67] d'oiseaux, les familles dont les espèces où le risque de parasitisme est le plus grand sont aussi celles qui ont les plumages les plus éclatants. C'est-à-dire que là où il peut y avoir des parasites, il faut (pour les femelles) un signal honnête de santé chez le mâle (pour distinguer les mâles résistants aux parasites, très brillants, de ceux moins résistants, plus ternes), alors que dans les familles peu susceptibles au parasitisme, cette nécessité n'existe pas et alors priment sans doute des effets de pression de sélection des prédateurs (conduisant à des plumages généralement ternes).

Chez l'hirondelle de cheminée, on a vu (dans le contexte de la visibilité des déclencheurs) que les femelles choisissent préférentiellement les mâles qui ont les rectrices extérieures les plus longues: on l'avait vu pour la latence d'appariement, mais c'est vrai aussi pour le nombre de jeunes: les mâles à queue artificiellement allongée ont eu en moyenne 8 jeunes, contre 5 pour les contrôles!). M-ller, qui avait fait ces expériences, a également vérifié que les mâles dont la queue est la plus longue sont ceux qui engendrent les petits les moins parasités par des acariens[68]. Ceci est vrai si les petits restent dans le nid du père, mais aussi s'ils sont transférés dans un autre nid et adoptés. Il s'agit donc bien d'un trait (en partie) héritable: une résistance aux parasites, conférée génétiquement.

8.6.6                          Retour à l'oiseau satin

Chez l'oiseau satin, la qualité des berceaux dépend de la position sociale du mâle qui les possède: celui qui est capable de défendre son berceau et de détruire ceux des voisins. Les mâles les plus agressifs sont avantagés et plus âgés sont avantagés (plus agressifs car ils défendent mieux leur berceau, et plus âgés car ils ont plus d'expérience dans la construction et la défense). De plus, l'âge est un signal honnête de résistance: Les mâles plus âgés ont déjà prouvé leur vigueur: ils sont encore vivants. Si ces mâles plus âgés possèdent des caractéristiques génétiques qui favorisent la survie (qui ont favorisé, en particulier, leur survie): résistance aux parasites, capacité d'échapper aux prédateurs, alors, toutes choses égales par ailleurs, une femelle devrait préférer un mâle plus âgé, car il pourra lui donner davantage de descendants.

Dans ce cas particulier, on n'a pas assez de données pour trancher entre les deux hypothèses:

1.     On pourrait admettre l'hypothèse de type "bons gènes":  la sélection pourrait s'être faite sur la dominance (corrélée à l'âge et avec pour signal la qualité du berceau).

2.     On pourrait aussi considérer ce comportement comme le résultat d'un emballement fisherien.

8.6.7                          Sociobotanique: La sélection sexuelle chez les plantes[69]

Des données très récentes[70] et encore controversées indiqueraient que des mécanismes de sélection sexuelle (compétition entre mâles, sélection par les femelles) seraient également à l'œuvre chez les plantes.

Chez le radis sauvage, les grains de pollen de mâles différents inhibent les uns chez les autres la croissance du tube pollinique (l'excroissance du pollen qui va s'enfoncer dans les tissus femelles jusqu'à l'ovule).

Dans une espèce de pétunia, et chez les radis, les femelles elles-mêmes inhibent sélectivement la croissance des tubes polliniques de grains de pollen de mâles différents, et des femelles différentes favorisent le pollen des mêmes mâles (il y a accord pour choisir le meilleur?).

8.6.8                          Psychologie évolutive: La sélection sexuelle chez l'être humain

Si même les plantes ont un "comportement" lié à ces mécanismes, il serait étonnant que les êtres humains n'y soient pas au moins un peu soumis.

[BUS-108] Au cours de l'évolution humaine, les mêmes mécanismes ont été à l'œuvre que dans le cas de la sélection sexuelle chez l'animal. Les êtres proto-humains, puis humains, mâles différaient les uns des autres par de nombreuses dimensions morphologiques et comportementales; par l'effet de la sélection naturelle, les êtres proto-humains, puis humains, femelles ont développé des instruments de choix leur permettant en moyenne de choisir leur partenaire mâle ayant les caractères les plus propres à augmenter la fitness (potentiel reproducteur) de ses enfants (ce qui veut dire en premier lieu assurer leur survie, mais aussi leur passer des caractères optimaux pour le même but et pour leur reproduction).

Reste-t-il quelque chose de ce processus dans l'être humain moderne? En clair, peut-on trouver des indications que les femmes préfèrent les hommes qui leur apportent des avantages en termes de fitness?

Buss (1989) a effectué une enquête multiculturelle, impliquant plus de dix mille individus dans 37 cultures du monde entier. Ces cultures se différenciaient selon de nombreuses dimensions. On trouvait ainsi:

·        Des Brésiliens de milieu urbain ou des Zoulous d'Afrique du Sud vivant en bidonvilles,

·        Des cultures polygynes comme le Nigeria ou la Zambie, et des cultures monogames comme l'Espagne ou le Canada

·        Des cultures où le concubinage est aussi courant que le mariage (Suède, Finlande) et d'autres où il est mal considéré (Bulgarie, Grèce).

·        etc...

Les participants (hommes et femmes) ont dû placer sur une échelle (de "non important" à "indispensable") 18 caractéristiques d'un partenaire potentiel.

8.6.8.1                                   Le choix des femmes

De manière générale, les femmes souhaitent que leur partenaire soient intelligents, gentils, aient de la compréhension, partagent leurs valeurs et soient semblables à elles en attitude, personnalité et croyance religieuse.

Mais on peut se poser des questions plus proches des mécanismes observés chez l'animal.

Par exemple, on peut se demander si les femmes ont développé de même au cours des âges des préférences pour des partenaires leur apportant des ressources (plus de ressources que d'autres, pour être précis). On peut s'y attendre, puisque les ressources sont inégalement partagées entre hommes, et que ces ressources sont souvent des possessions personnelles et défendues.

8.6.8.1.1                                             Les femmes privilégient les ressources (investissement économique)

Dans toutes les cultures étudiées, quel que soit le système politique, le groupe racial, l'appartenance religieuse, et le type de mariage (polygyne ou monogame), les femmes donnent plus de valeur que les hommes (en moyenne 2 fois plus!) aux bonnes perspectives financières du / de la partenaire.

Ces résultats vont dans le sens d'une base évolutive sous-tendant la psychologie du choix d'un partenaire chez l'être humain. Comme nos ancêtres femmes avaient elles aussi à supporter les conséquences de la fertilisation interne, de la gestation très longue, et de la lactation ensuite, celles qui effectuaient le bon choix de partenaire avaient un fort avantage sur les autres. Les femmes actuelles sont les descendantes d'une longue lignée de femmes qui ont développé ces préférences.

L'enquête de Buss a également montré des préférences des femmes pour:

·        Un statut social élevé de l'homme (qui est lié aux ressources) – dans presque toutes les cultures. Ceci confirme une étude de Betzig (1986) sur 186 sociétés, où il avait été montré que les hommes de statut social élevé peuvent mieux nourrir leurs enfants.

·        Un homme un peu plus âgé qu'elles (dans toutes les cultures). En moyenne, les femmes préfèrent des hommes plus âgés qu'elles d'environ 3 ½ ans[71]. En réalité, la différence d'âge moyenne dans les mariages est de 3 ans. L'âge est aussi corrélé aux ressources, et, semble-t-il, dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, également aux dons de chasseur (qui sont maximales dans la trentaine[72]).

8.6.8.1.2                                             Les femmes privilégient l'investissement émotionnel

Les femmes préfèrent des hommes grands et physiquement forts (indice de protection). Il est intéressant de noter que les traits préférés par les femmes (taille, largeur des épaules, musculature du haut du corps) sont aussi ceux qui intimident les hommes.

Les femmes préfèrent les hommes dont le visage est symétrique (et il semble y avoir une corrélation entre symétrie et santé physiologique et psychologique!).

Les femmes (mais pas les hommes) préfèrent un partenaire qui montre de l'intérêt pour les enfants. La Cerra (1994) a montré à 240 femmes des diapositives représentant

1.     Un homme debout, seul

2.     Un homme interagissant positivement avec un enfant de 18 mois

3.     Un homme ignorant les cris de l'enfant

4.     Un homme et un enfant en situation neutre

5.     Un homme seul en train de passer l'aspirateur.

Les femmes devaient évaluer (sur une échelle de –5 à 5) l'attractivité de l'homme en tant que partenaire de mariage[73]:

Les hommes, par contre, donnent le même score (2.7) à la femme debout, seule, qu'à la femme qui s'occupe de l'enfant...

8.6.8.2                                   Le choix des hommes

De bien des manières, le choix de partenaire par l'homme est semblable à celui des femmes. Mais nos ancêtres hommes étaient confrontés à d'autres problèmes d'appariement que nos ancêtres femmes (cela résulte des conséquences de l'investissement parental), on peut prédire que leurs descendants modernes (nous) avons des préférences partiellement différentes des préférences des femmes.

8.6.8.2.1                                             Les hommes préfèrent les femmes plus jeunes

Dans l'étude multiculturelle de Buss, on avait vu que les femmes préfèrent les hommes plus âgés qu'elles, mais aussi que dans toutes les cultures les hommes préfèrent les femmes plus jeunes qu'eux.

Plus l'homme est âgé, plus il préfère les femmes d'autant plus jeunes que lui. Les exemples ne manquent pas dans les médias...

8.6.8.2.2                                             Le potentiel reproducteur de la femme diminue avec l'âge

Le Criquet mormon préfère les grosses femelles – car elles sont plus fertiles: elles pondent davantage d'oeufs. Selon un modèle évolutif, ce n'est pas la jeunesse en elle-même que les hommes rechercheraient, mais les indicateurs de fertilité, et la jeunesse en est un.

En effet, la courbe d'espérance reproductive[74] de la femme augmente jusqu'à 20 ans[75] et décline ensuite. L'idée que c'est la fertilité qui est recherchée est confirmée par le fait que les adolescents mâles (tout à gauche sur la courbe) préfèrent les femmes plus âgées qu'eux (plutôt que des femmes plus jeunes).

8.6.8.2.3                                             L'apparence physique comme indicateur

Dans toutes les cultures étudiées par Buss, les hommes accordent plus d'importance que les femmes à l'apparence physique de leur partenaire.

Il se peut aussi que nos concepts de beauté soient partiellement liés à des adaptations liées à la valeur reproductive. Le grain de la peau, les cheveux éclatants, la symétrie, etc. sont des indicateurs de santé.

On pense facilement que les standards de beauté sont acquis graduellement par transmission culturelle et donc qu'il faut aux enfants un certain temps pour les acquérir. Or, Judith Langlois  et coll. (1990) ont montré que déjà à 2-3 mois, des bébés regardent plus longtemps des photos de visages de femmes considérés par beaux par des juges adultes.

8.6.8.2.4                                             Un indicateur de fertilité inattendu

La préférence pour des femmes plutôt minces ou plutôt "moins minces" varie d'une culture à l'autre.

Cependant, Devendra Singh (1993) semble avoir découvert un universel relatif aux préférences pour la forme du corps. Elle a réalisé aux USA une douzaine d'études dans lesquelles des hommes devaient juger de l'attrait de femmes qui variaient en termes de total de graisse corporelle et en termes de rapport entre tour de taille et tour de hanches (RTH)[76]. Les hommes préfèrent les femmes "moyennes" en terme de graisse corporelle totale; mais, indépendamment de cela, ils expriment une nette préférence pour les RTH les plus bas (0.70 est préféré à 0.80, lui-même préféré à 0.90).

Singh a répliqué cette étude dans des ethnies d'Indonésiens et de Noirs, avec les mêmes résultats. D'autres confirmations sont cependant encore nécessaires[77].

Or le RTH est un indicateur de statut reproducteur (fertilité). Avant la puberté, il est (chez les deux sexes) de 0.85 à 0.95; par la suite, le RTH reste constant chez les hommes, mais chez la femme, le RTH baisse (à cause du changement de répartition des graisses): il passe à 0.67-0.80.

Les femmes avec un RTH bas ont une activité endocrine pubertaire plus précoce; les femmes (mariées) avec un RTH plus élevé ont plus de peine à devenir enceintes, et le font plus tard. Des maladies comme le diabète et l'hypertension, les risques d'attaque cardiaque ou cérébrale, sont corrélés au RTH (l'un n'est pas la cause de l'autre! mais le RTH est un indicateur de risque).

8.7       L'infanticide par les mâles chez l'animal

Les mécanismes de la sélection sexuelle, ainsi que leurs tenants et aboutissants liés en particulier à l'investissement parental, nous étant maintenant connus, nous pouvons revenir au problème de l'infanticide chez l'animal, en nous limitant à l'infanticide par les mâles[78], qui est directement lié à ces mécanismes.

8.7.1                          Le langur gris

[ALC-16] Les langurs gris[79] (ou "langurs de Hanuman") vivent en bandes unimâles, constituées d'un grand mâle reproducteur et d'un groupe de femelles, plus petites, et de leurs enfants (ils vivent parfois aussi en bandes multimâles)[80]. Dans ces conditions, évidemment, il y a des mâles surnuméraires, hors bandes, qui vivent en groupes à l'écart des bandes unimâles. Parfois les groupes de mâles attaquent une bande unimâle, et chassent le mâle résident. Ensuite, ils se battent entre eux, et un seul mâle reste, comme chef de la bande de femelles.

Après ces coups d'Etat, on a constaté que les enfants tendaient à disparaître – à mourir. On a fini par soupçonner que ces morts suspectes résultaient d'infanticides par le nouvel arrivant.

En raison de la répugnance qu'on a face à ce concept, on a d'abord imaginé que ces infanticides résultaient de conditions particulières et pathogènes (haute densité de population): dans ce cas le mâle infanticide ne gagnerait rien par son comportement.

Ou alors, l'infanticide serait adaptatif, en ce sens qu'on pourrait argumenter que, dans des population à haute densité, il éviterait la surpopulation. Le bénéfice existerait alors, non pas pour celui qui exécute le comportement (le mâle), mais pour l'entier du groupe. Mais cette interprétation en termes de "bien du groupe" est celle de Wynne-Edwards dont WIlliams avait montré qu'elle ne peut pas être correcte.

Sarah Hrdy a résumé en 1979 les 4 hypothèses pour expliquer l'infanticide par d'autres individus que les parents[81]: Une explication non adaptative, 3 explications adaptatives:

1.     Pathologie

2.     Exploitation (cannibalisme, usage d'un otage[82])

3.     Compétition pour les ressources (moins de jeunes en compétition; également pour éviter que l'investissement parental soit détourné[83])

4.     Sélection sexuelle.

C'est Sarah Hrdy qui a "levé le lièvre" en interprétant l'infanticide par les mâles comme ayant évolué par action de la sélection sexuelle, et, précisément, de l'élément "compétition entre mâles" de celle-ci. La sélection sexuelle elle-même, rappelons-le, est liée à l'investissement parental, et évidemment le mâle nouveau n'a aucun intérêt à défendre des petits qui ne sont pas les siens, ni à attendre leur indépendance pour que la femelle soit à nouveau fécondable. On vérifie d'ailleurs qu'un langur mâle ne tue jamais ses propres petits.

L'infanticide par le mâle n'est pas un acte gratuit (littéralement): il implique un risque de blessures (infligées par la femelle qui défend son petit ou poursuit l'infanticide).

Si l'infanticide s'explique par la compétition entre mâles, il en dérive une prédiction particulière: La femelle ainsi privée de ses petits va redevenir sexuellement réceptive rapidement envers le mâle qui a tué ses petits. (Chez beaucoup de mammifères, la lactation interromp l'ovulation; et l'infanticide interromp la lactation). C'est bien ce qu'on observe chez les langurs gris.

Si cette hypothèse tient, on devrait observer la même chose chez d'autres espèces pour lesquelles les conditions sont les mêmes.

8.7.2                          Le lion

8.7.2.1                                   Structure sociale

Les lions[84] vivent en bandes appelées "prides" par les anglophones; une pride est constituée d'un noyau de femelles adultes qui sont sœurs ou cousines, et qui restent associées toute leur vie avec un territoire donné passé d'une génération à l'autre (philopatrie). Une pride comporte de 4 à 37 individus (moyenne: 15).

Les lionnes coopèrent fortement (c'est une des formes de coopération les plus extrêmes chez les mammifères). La chasse est hautement coordonnée. Les jeunes sont élevés dans une "crèche"[85]: chaque femelle allaite préférentiellement ses petits, mais en tolère d'autres (un petit peut quémander son repas chez 3-5 femelles successives).

Les mâles qui vivent en bande (soit dans une pride, soit dehors) sont soit des frères soit des individus qui ont été longtemps associés. Dans une pride, ces mâles subsistent en parasites partiels: ils accompagnent les femelles, ne chassent pas eux-mêmes, mais, une fois la proie tuée, ils utilisent leur force supérieure pour repousser les femelles et les jeunes et manger en premier.

Les jeunes mâles quittent la pride et se déplacent ensuite seuls ou en groupes. Ils peuvent s'attacher à une nouvelle pride, parfois en en chassant les mâles résidents.

L'existence d'une structure sociale chez ces Félidés (alors que les Félidés sont en général solitaires) s'expliquerait par l'avantage pour la chasse de grands herbivores en terrain ouvert, comme chez le loup[86] (2 fois plus de succès pour un groupe de lionnes chasseresses que pour un individu solitaire), et par l'avantage en termes de protection des petits.

8.7.2.2                                   Infanticides

Lorsqu'un groupe de lions mâles expulsent les mâles résidents d'une pride, ils font la chasse aux lionceaux de moins de 9 mois et cherchent à les tuer. Les femelles cherchent à les défendre (et parfois y réussissent).

Les lionnes qui gardent leurs petits font un petit tous les 2 ans; celles qui les perdent recommencent à ovuler et s'accouplent avec les nouveaux mâles. Or, la durée moyenne de résidence d'un mâle dans une pride est justement de 2 ans: l'avantage pour le mâle d'accélérer l'oestrus de la femelle est donc évident.

On estime que dans certaines populations les mâles sont responsables d'un quart de la mortalité des petits de moins d'un an.

8.7.3                          Histoire de vie, et risque d'infanticide

8.7.3.1                                   Style de vie et histoire de vie

En éthologie, les termes "style de vie" (life style) et "histoire de vie" (life history) ne se rapportent pas d'abord à l'individu, mais à l'espèce[87]. L'histoire de vie correspond à la distribution des événements majeurs au travers de la vie des individus (durée de vie, âge et dimension à la maturité, nombre et format des petits...). Ainsi, dans ce contexte de l'infanticide, pour une espèce donnée, [SCH-61]:

·        les variables pertinentes du style de vie sont l'endroit où se tiennent les petits relativement à la mère, la présence ou l'absence de cachettes pour les enfants, et le degré de prévisibilité de la localisation spatiale des femelles dans un territoire.

·        Les variables pertinentes de l'histoire de vie incluent le degré de précocité[88] des petits (qui influence leur probabilité d'échapper à une attaque) et la vitesse de reproduction des femelles (leur capacité à être à la fois portantes – enceintes – et en lactation).

8.7.3.2                                   Gestation, lactation, et attentes concernant l'infanticide

On peut se demander si cette dernière variable (la vitesse de reproduction des femelles) influence les probabilités qu'il y ait infanticide dans une espèce donnée.

En effet, l'infanticide est plus avantageux pour les mâles quand la lactation est longue par rapport à la gestation. Dans ces espèces, une fécondation post-partum (peu de temps après la naissance des petits) est impossible, car elle résulterait en deux "jeux" de petits d'âges différents, avec des besoins différents et surtout des forces différentes dans la compétition pour l'accès au lait maternel (en clair, les aînés auraient les moyens de repousser les cadets).

Il en résulte que quand la lactation L est plus longue que la gestation G, les femelles doivent avoir une aménorrhée durant la lactation (ce qu'on observe, évidemment, chez la femme). Dans ce cas, la période de lactation empêche une nouvelle fécondation, ce qui rend les femelles plus susceptibles à l'attaque infanticide par les mâles. On s'attend donc à une forte relation entre le rapport L/G et le risque d'infanticide[89].

L'étude des mammifères euthériens (=placentaires) non volants montre exactement cela[90]: des infanticides ne sont observés que dans les ordres resp. sous-ordres pour lesquels le rapport L/G est supérieur à 1 ou proche de 1.

Chez les mammifères non-Primates, on trouve donc de nombreuses espèces où l'infanticide a été observé en concordance avec une hypothèse de sélection sexuelle. Beaucoup de rongeurs, mais par exemple aussi le cheval, le zèbre, le dauphin[91], l'ours[92], le tigre, le léopard, le lynx[93], le cerf, l'hippopotame, et le chat.

Chez les Primates, des infanticides ont été observés directement dans 17 espèces; l'infanticide est fortement suspecté chez 22 autres espèces. Dans d'autres espèces, on n'a pas observé d'infanticide. Si on divise les Primates en espèces avec infanticide et espèces sans infanticide, on trouve les mêmes tendances: chez les espèces où il y a infanticide, le rapport L/G est en moyenne de 1.9; chez les espèces où il n'y a pas d'infanticide observé, le rapport est en moyenne de 1.03 seulement.

8.7.4                          L'infanticide comme pression de sélection

Le fait que la valeur adaptative de l'infanticide a été (et reste) controversée a éclipsé le fait que l'infanticide a pu être une pression de sélection aussi importante que l'écologie ou la structure de la population. Quelques exemples:

8.7.4.1                                   La ressemblance des petits avec les pères, bis

Comment les petits peuvent-ils se protéger? [SCH-231] Si on admet que les pères peuvent reconnaître leurs apparentés à leur aspect, par référence à eux-mêmes (kin recognition), les petits peuvent se camoufler en ayant un pelage différent des adultes (le mâle arrivant ne pouvant se comparer aux petits, il ne peut pas observer des différences entre leur pelage et le sien qui lui indiqueraient qu'il n'est pas le père!. Il se trouve justement que le pelage néonatal des Primates est différent de celui des adultes, et il change précisément (i.e., devient un pelage semblable à celui de l'adulte) au moment où les petits deviennent moins vulnérables (à 18-20 semaines) et commencent à s'éloigner de la mère. Le changement commence par la tête ou le dos – les parties du corps, précisément, que le mâle infanticide potentiel ne peut pas observer sur lui-même!

8.7.4.2                                   Action sur la structure d'appariement (mating systems)

La monogamie observée chez certains Primates (e.g. gibbons) a été habituellement attribuée aux effets de la territorialité des femelles combinée à l'impossibilité pour le mâle de défendre un territoire contentant plus d'une femelle. Mais le facteur limitatif pourrait bien plutôt être la nécessité de protéger ses propres petits contre d'autres mâles [SCH-492].

Chez les babouins chacma, les femelles qui allaitent établissent des liens d'amitié avec des mâles. Ceux-ci sont dans au moins 68% des cas des mâles qui ont copulé avec elles. Lorsque ces femelles crient, ces mâles amis prêtent davantage attention que d'autres mâles, ou que s'il s'agit des cris d'une autre femelle (Palombit et al. 1997 ont testé la chose en passant l'enregistrement du cri d'une femelle et en mesurant le temps que le mâle passait à regarder dans la direction du cri durant les 20 secondes suivant le cri) [SCH-255]. Cette attention préférentielle disparaît si la femelle a perdu le petit. De plus [SCH-265] leur taux de réponse est corrélé positivement avec leur statut social (dominance) non pas hic et nunc, mais celui qu'il était 6 mois plus tôt, à l'époque de la conception du petit (et il y a un lien entre dominance et succès en copulations!). En pratique, ces mâles amis interviennent si la femelle ou son petit son menacés par d'autres mâles.

8.7.4.3                                   Une stratégies des femelles: la concentration et la confusion de paternité

Comment les femelles peuvent-elles protéger leur(s) petit(s)? Quatre options tombent sous le sens:

1.     En cachant les petits vulnérables

2.     En se dispersant

3.     En évitant les mâles autres que le père durant le temps où les petits sont vulnérables

4.     En effectuant une défense en commun (lionnes, langurs)

Mais deux autres stratégies sont possibles, qui reposent sur une manipulation de la certitude de paternité.

1.     Quand le risque principal est celui de l'arrivée de mâles totalement étrangers au groupe (qui n'ont en tout cas pas copulé auparavant avec la femelle), une bonne stratégie est de rechercher la protection du mâle le plus à même de défendre les petits (le dominant, qui est d'ailleurs en principe le père): cf. amitiés des chacma ci-dessus.

2.     Quand le risque principal est représenté par les autres mâles du groupe même (qui ne sont sans doute pas le père, mais qui ont néanmoins peut-être pu copuler avec la femelle) , en leur laissant supposer qu'ils sont peut-être le père de ses petits.

8.7.4.3.1                                             Protection par le mâle dominant

Comme vous le savez, l'évolution aura mené à une protection par le mâle si et seulement si, en moyenne, la probabilité qu'il soit le père est suffisamment forte pour dépasser le coût associés à la défense des petits (blessures). On a vu plus haut qu'il est difficile (voire impossible) pour un mâle de déterminer si un petit est le sien ou non sur la base d'éventuelles ressemblances. L'estimation de paternité par le mâle est donc nécessairement probabiliste, et dépend de ce qu'il sait de son histoire de couple avec la femelle.

De ce point de vue-là, la femelle doit logiquement effectivement offrir une probabilité assez haute au mâle défenseur qu'il soit le père[94]. Autrement dit, dans ces cas-là, on devrait avoir des indicateurs de fertilité clairs et dignes de foi qui permettraient au mâle de s'accoupler avec la femelle au moment fécond, et de le savoir.

8.7.4.3.2                                             Confusion de paternité

Dans les groupes multimâles, c'est le dominant qui s'accouple avec les femelles, mais, si la période de réceptivité est un peu prolongée, le mâle dominant ne "gardera" une femelle qu'au moment de sa fécondabilité maximale (car il a d'autres femelles à courtiser, etc.); cela laisse aux autres mâles des occasions d'accouplement, en général en-dehors de la période de fertilité de la femelle.

Ces autres mâles auront moins intérêt à tuer les petits de la femelle que la probabilité qu'ils en soient les pères est non-nulle. Dan ces conditions, la femelle a intérêt à semer une certaine confusion dans la paternité.

L'ovulation est invisible pour les mâles: seule l'attractivité de la femelle est visible, et elle est liée à l'état hormonal de la femelle (œstrogène). L'œstrogène augmente durant la 2ème partie de la phase folliculaire (maturation de l'ovule), puis chute immédiatement avant l'ovulation. Cela s'associe à des changements entre autres histologiques et morphologiques. Chez certaines espèces les femelles ont des signaux visibles (ou détectables olfactivement) de loin; chez d'autres, les manifestations sont peu détectables. Mais l'ovulation elle-même reste imprévisible exactement.

Entre le moment où le maximum des signaux détectables (p.ex. gonflement des organes génitaux chez la femelle bonobo) est atteint et l'ovulation, il y a un intervalle variable; de même qu'entre l'ovulation et la diminution des signaux. Chez le bonobo, le premier intervalle va de 2 à 21 jours (médian: 9); le second, de 6 à 9 jours. La grande variabilité du 1er intervalle correspond à une grande variabilité de la phase folliculaire.

Chez les langurs gris, qui n'ont pas de signaux morphologiques, il y a cependant une période d'oestrus, et l'ovulation a lieu durant cette période, mais à un moment très variable.

En résumé, plus le danger se limite aux mâles locaux, plus grande doit être l'imprévisibilité du cycle ovarien. Chez le bonobo, il n'y a pas d'immigration de mâles, et la variabilité du délai entre signaux et ovulation est la plus grande connue.

8.8       L'infanticide chez l'être humain

8.8.1                          Le timing de l'ovulation chez la femme: une défense?

On a vu plus haut les données de Daly et Wilson qui montrent qu'un enfant dans une famille reconstituée a 40 fois plus de risques d'être tué qu'un enfant dans une famille biologique (certitude de non-paternité). Certains des infanticides par les mères dans les sociétés tribales peuvent aussi être classés sous cette rubrique (voir plus bas). Il y a donc un risque effectif d'infanticide (ou au moins de désinvestissement paternel) chez les humains. Y a-t-il des signes de mécanismes venant diminuer ce risque?

Chez la femme, l'ovulation est hautement imprévisible (ce n'est pas que la femme n'a pas de signaux d'oestrus; on a longtemps pensé que oui, mais ce n'est pas vrai, en ce sens que le désir sexuel augmente autour de la période de fécondité, et il existe des signaux, discrets mais réels, qui sont liés à cette période). Simplement le lien temporel entre signaux et ovulation est hautement variable.

Si on admet que ce sont les mêmes pressions de sélection à l'œuvre que chez les autres primates, on doit en conclure que les femmes, historiquement, ont mis l'accent plus sur la confusion de paternité – pour éviter les infanticides intra-groupe -- que sur la concentration de paternité. Donc que le risque associé à l'arrivée de nouveau mâles immigrants étaient minimal. Ceci est en accord avec ce qu'on sait des sociétés de chasseurs-cueilleurs (qui sont patrilocales, territoriales, et dans lesquelles il y a polyandrie).

8.8.2                          Infanticide par les mères dans les sociétés tribales[95]

Pour comprendre l'infanticide, un exemple animal peut servir de point de départ: Lorsque la situation est désespérée (attaque du nid par des coléoptères qui le détruisent et mangent les larves) les guêpes Polistes mangent leurs propres larves avant qu'elles soient dévorées [TRI-79]. Ceci correspond à une attribution optimalisée des ressources (en clair, réduire les dégâts autant que possible, en récupérant sous forme énergétique une partie de l'investissement parental, qui servira pour la prochaine tentative de reproduction – par exemple sous forme d'énergie utilisée à reconstruire un nid.)

8.8.2.1                                   Les Ayoreo

[DHO-37] Les Ayoreo sont une ethnie à la frontière de la Bolivie et du Paraguay; ils font une agriculture de brûlis sur une moitié de l'année et font de la récolte nomade l'autre moitié. La tribu est basée sur une structure matrilinéaire et sur la lignée des sœurs (l'homme s'en va habiter dans la famille de sa femme). Les mariages sont arrangés par les principaux intéressés eux-même. Il n'y a pas de polygynie, mais typiquement une série de cohabitations temporaires et d'aventures impliquant différents partenaires, avant le mariage effectif.

Au moment de la naissance d'un bébé, la femme se rend dans la forêt, avec des autres femmes pour aider. On rembourre le sol là où le bébé va naître (car la naissance se fait sans qu'on touche le bébé, et il tombe!); à côté, on creuse un trou. Lorsque le bébé est né, s'il est désiré, les aides coupent le cordon et lavent le bébé; sinon, le bébé est poussé à l'aide d'un bâton dans le trou creusé, et celui-ci est refermé.

Les femmes Ayoreo ne parlent pas volontiers de ces cas, mais il est courant qu'une femme, au cours de ses premières unions, ait ainsi enterré plusieurs enfants! Les raisons principales de la décision de ne pas garder un bébé sont (1) le fait de ne pas avoir de soutien paternel (2) les malformations constatées, (3) la naissance de jumeaux, et (4) l'arrivée d'un second bébé trop tôt, qui surchargerait la mère et mettrait en danger la survie de l'aîné.

8.8.2.2                                   Les !Kung San

Dans les sociétés tribales de type chasseurs-cueilleurs, la fertilité est basse. Chez les Bochimans !Kung San du Kalahari, la puberté des filles a lieu à 16 ans 7 mois, et c'est aussi l'âge du mariage (les maris ont typiquement 5 années de plus). Le premier bébé naît lorsque la mère a 19½ ans, et les petits sont allaités 4 à 6 ans. Une femme !Kung met au monde quelque 5 enfants; en moyenne, seuls 2 survivent jusqu'à l'âge de reproduction. Chez les !Kung, le taux d'infanticide (connu) est de 12 pour 1000 naissances: moins que chez les Ayoreo, mais bien plus que chez nous.

8.8.2.3                                   Des enfants de "valeur" différente

Les soins parentaux contribuent directement à la fitness parentale: faut-il donc considérer que l'infanticide de ses propres enfants est une pathologie? A l'évidence, le cannibalisme des guêpes Polistes n'est pas une pathologie mais une adaptation.

En fait, il n'y a aucune raison de supposer que les mécanismes psychologiques qui ont évolué donnent la même valeur à chaque enfant de manière non discriminative (les "enfants" des Polistes, étant donné les circonstances, n'ont plus aucune valeur comme progéniture!).

Chaque enfant qu'un parent accepte d'élever "mord" sur les ressources limitées du parent, et peut-être aurait-il mieux valu distribuer ces ressources autrement (le rendement aurait été meilleur). En paraphrasant Alexander:

La sélection a dû raffiner l'altruisme parental en réponse à trois questions relatives aux coûts et aux bénéfices:

1.     Quelle est la relation entre l'enfant et le parent (l'enfant est-il bien le mien?)

2.     Quels sont les besoins de l'enfant (plus exactement, dans quelle mesure est-il capable de transformer l'aide parentale en reproduction? I.e. les ressources investies dans un enfant qui ne pourra pas se reproduire sont investies à perte!)

3.     Quels autres usages le parent pourrait-il faire des ressources qu'il peut investir dans sa progéniture?

8.8.2.4                                   Les données ethnologiques

Daly et Wilson sont partis de la base de données Human Relations Area Files (elle comprend une société prise au hasard dans chacun des 60 clusters culturels majeurs[96]), et ont cherché toutes les sociétés dans lesquels les ethnologues avaient noté de l'infanticide Sur ces 60 sociétés, il y en a 35 où l'infanticide est mentionné (en tout 112 cas d'infanticide où les circonstances sont explicitées). Les raisons invoquées pour justifier ces 112 infanticides sont:

·        "Enfant n'est pas du parent" apparaît 20 fois: adultère (15), de l'époux précédent (3), père d'une autre tribu (2) : dans la HRAF, on rapporte qu'il y a deux sociétés où les hommes qui acquièrent des femmes ayant des enfants en bas âge exigent que ces enfants soient tués: les Yanomami (Amérique du Sud) et les Tikopia (Océanie).

·        "Enfant handicapé, malade", 21 fois (dans une seule[97] de ces sociétés il y a désapprobation sociale de ce type d'infanticide)

·        "Circonstances défavorables", 56 fois: jumeaux[98] (14), second bébé trop tôt[99] (11), pas de soutien paternel ou femme non mariée (20), mort de la mère (6)...

·        "Autres", 15 fois: l'enfant est une fille (4), élimination de rivaux pour le trône (2), rituels (3), enfant conçu en inceste (3)...

 

En fin de compte, sur les 112 infanticides répertoriés, 97 cas correspondent à l'hypothèse darwinienne de mécanismes assurant une attribution optimale des ressources. Et une analyse fine montre que dans seulement 4 cas l'individu infanticide agit directement négativement sur sa fitness (élimination de ses propres enfants par exemple pour ne pas devoir céder le trône).

8.9       Ethologie et génétique des populations

8.9.1                          Rappel: la fitness darwinienne

La fitness[100] au sens classique, ou fitness darwinienne, correspond à:

1.     Viabilité i.e. l'aptitude à survivre (mais uniquement parce qu'elle est un prérequis pour 2)

2.     Succès de reproduction relatif (ou "différentiel"): i.e. relatif au succès reproductif des autres membres de la population. Ce qui compte, du point de vue évolutif, c'est la contribution en gènes apportée par l'individu au pool génétique de la génération suivante, en comparaison de la contribution des autres individus de la population.

8.9.2                          La sélection agit sur la fréquence relative des allèles, i.e. La sélection des individus favorise les gènes

Par conséquent, en termes de gènes, s'il y a succès reproducteur différentiel et que cela dépend partiellement de caractères héritables, les allèles "à succès" (responsables de la différence en succès reproductif) deviennent plus fréquents dans la population, voire même peuvent à long terme éliminer les formes alternatives.

La conclusion logique est que la sélection, qui porte sur les individus, va favoriser, en fin de compte, des gènes: les allèles qui concourent à produire des organismes qui sont de bons propagateurs de ces allèles:

"Un poulet est en réalité la méthode employée par les gènes du poulet pour faire des copies d'eux-mêmes" (Wilson)

Les entités sélectionnées sont les organismes, mais, selon le point de vue ci-dessus, on peut aussi entendre celles dont la sélection naturelle contrôle directement la fréquence: les gènes [RID-330].

Les organismes vivants [DAH-154] existent au profit de l'ADN. Pour preuve, l'échelle de temps d'existence des différentes entités (durée de vie). Le gène Histone H4 est commun aux hommes et aux pois, il existe donc au moins depuis la divergence des plantes et des animaux il y a quelque 1.5 milliards d'années. L'ADN, et non l'organisme, est l'élément de base sur lequel agit la sélection naturelle. Le gène (ou plutôt ses copies conformes) est potentiellement immortel, et il peut répondre à la sélection parce que, contrairement au génome, il n'est pas fragmenté à chaque méiose et que, contrairement au phénotype, il n'est pas anéanti par la mort [RID-331].

Comme le dit McFarland,

" Different genes combine in each generation to form a temporary federation. The alliance is an individual organism. By reproducing, individuals serve to perpetuate the genes which in the next generation recombine in some other kind of alliance."

 

Si le concept d'évolution néo-darwinienne est correct, cela veut dire que les humains, et tous les autres êtres vivants, ont été conçus par la sélection naturelle pour reproduire et transmettre leurs gènes: c'est cela, la signification biologique de la vie. Si on comprend ce point, cela nous aide à identifier les questions fondamentales relatives aux causes ultimes ("pourquoi"), et à émettre des hypothèses.

8.10L'égoïsme génétique

8.10.1                     Le gène égoïste

Richard Dawkins, à sa  manière un peu extrémiste, disait que l'altruisme est la forme la plus avancée de l'égoïsme (les comportements altruistes ne sont que l'expression de surface de l'égoïsme des gènes)! Mais qu'en est-il de cette idée de gènes égoïstes?

8.10.1.1                               De l'ADN égoïste[101]...

Parmi les 97% de génome qui n'encode pas des protéines et qui est donc fait de non-gènes, on trouve une certaine séquence du génome (LINE-1) d'un type nommé rétrotransposons. LINE-1 (un paragraphe de 1000 à 6000 lettres) représente 14.6% du génome (cinq fois plus que les gènes véritables). LINE-1 peut se transcrire lui-même, fabriquer sa propre transcriptase inverse, se servir de celle-ci pour obtenir une copie ADN de lui-même, puis l'insérer dans le site génétique de son choix: c'est un véritable parasite génétique. [RIG-???]

En fin de compte, au moins 35% du génome est constitué de telles séquences d'ADN autoréplicatrices et parasitaires, qui existent au dépens de la machinerie!

8.10.1.2                               Des mitochondries égoïstes[102]

Les mitochondries (ces organelles responsables, chez les eucaryotes – donc nous autres – de la respiration aérobie, et donc de la production de l'énergie de la cellule à partir du glucose) sont des symbiontes incorporés (endosymbiontes) et conservent leurs propres chromosomes (et leurs propres ribosomes), qui sont circulaires et sans enveloppe nucléaire, comme ceux des bactéries[103].

Les spermatozoïdes ont eux aussi des mitochondries, donc le génome des mitochondries pourrait provenir des deux parents; mais on constate que les gènes mitochondriaux ne sont hérités, en fin de compte, que de la mère.

En raison de la dimension différente des gamètes mâles et femelles, les organelles maternelles sont numériquement supérieures lors de la fécondation, et le cytoplasme est également majoritairement maternel. Les organelles maternelles sont donc en position de force, et en profitent. Chez certaines espèces en tout cas, les mitochondries de l'ovule attaquent et détruisent les mitochondries du spermatozoïde. Dans certains cas seul l'ADN des mitochondries paternels est éliminé: l'équivalent cellulaire de la castration! [TRI-140]

8.10.1.3                               Le sens de la métaphore de Dawkins

Les allèles dont les effets développementaux et autres augmentaient leurs propres chances de passer à la génération suivante sont les allèles qui sont présents actuellement. Les autres allèles (ceux moins favorables à eux-mêmes, donc moins "égoïstes"), qui étaient légèrement moins efficaces à se passer plus loin, ont disparu.

8.10.2                     L'individu agit pour le bien de ses propres descendants

8.10.2.1                               ... mais pas du groupe!

[ALC-536] Dans certaines cavernes du sud-ouest des Etats-Unis et du Mexique, les chauves-souris mexicaines[104] femelles et gestantes forment des colonies de plusieurs millions d'individus. La femelle donne naissance à un seul petit, qu'elle accroche au plafond dans une "crèche" qui peut contenir 4000 petits au mètre carré. Quand la femelle est sortie se nourrir et revient pour allaiter le petit, elle revient au dernier endroit où elle l'a allaité; elle est alors assiégée par les petits qui veulent se nourrir. On a d'abord cru que dans ces conditions la femelle ne pouvait retrouver son petit et nourrissait le premier qui se présentait. Mais Gary McCracken, en prenant des échantillons de sang de couples mère/petit allaité, a pu montrer que les femelles nourrissent leur propre petit dans au moins 80% des cas. Des observations plus récentes indiquent que ceci est une estimation plancher: très probablement, les femelles nourrissent presque toujours leur propre petit, qu'elles identifient sur la base de signaux acoustiques et olfactifs.

8.10.2.2                               Rappel

Le cas extrême où on voit que ce sont ses propres descendants que l'on favorise est celui de l'infanticide, comme on l'a vu précédemment chez les souris, les langurs et les lions (et l'humain).

8.10.3                     Avant tout, on est génétiquement semblable à soi-même

Du point de vue d'un enfant donné, il partage 50% de ses gènes avec un frère ou une sœur, et aussi 50% de ses gènes avec chacun de ses parents; mais... 100% de ses gènes avec lui-même. Un frère ou une sœur n'a donc que la moitié de l'importance qu'on a pour soi-même [SCS].

8.10.4                     Le conflit entre membres de la fratrie

Chez l'antilope pronghorn, il y a fratricide in utero: les différents fœtus développent sur la membrane fœtale des excroissances cornées avec lesquelles ils se transpercent mutuellement!

8.10.5                     Dans certains cas, parents et enfants ont le même intérêt dans le conflit entre enfants

8.10.5.1                               Rappel: le fratricide des aigles

Chez les aigles noirs (aigles de Verreaux) il y a fratricide obligé (il a toujours lieu); dans ce cas, s'il y a bien conflit entre frères, on peut supposer qu'ici il n'y a pas conflit entre parent et enfant (au sens ci-dessus). En fait les parents retirent un avantage de cet état de fait.

L'aîné éclôt 3 jours avant le cadet, et est plus grand. Dès la naissance du cadet, l'aîné l'attaque (on a dénombré 1569 coups de bec en trois jours, jusqu'à la mort du petit). Chez cette espèce, le fratricide est obligé: sur 200 nids avec deux œufs éclos, on n'a observé qu'un seul cas où les deux petits sont restés vivants. Chez d'autres espèces fratricides, comme le balbuzard pêcheur[105] et le fou à pattes bleues[106], le fratricide est occasionnel. Chez toutes les espèces fratricides, la nourriture est apportée par les parents en petits morceaux déposés directement dans le bec des petits: donc la portion acquise dépend de la position du petit face à la compétition[107].

Dans les espèces à fratricide obligé, le plus jeune n'est qu'une assurance: il sert de remplacement si le plus grand est malformé ou affaibli (sur 22 nids, le junior a survécu dans 5 cas, l'autre dans 17 cas): le junior vaut donc une assurance de 22%. Chez les espèces à fratricide non obligé, le second petit représente à la fois une assurance et une valeur reproductrice supplémentaire.

Chez l'aigle noir, le coût de production d'un œuf supplémentaire est relativement bas (2.5% du poids de la femelle). Dans ces conditions, le décalage des naissances fait partie du système (il y a manipulation par les parents!): c'est aussi une adaptation, puisque cela oblige le second à n'être qu'une assurance, car les ressources ne suffisent pas pour les deux (il ne peut pas y avoir de vrai combat, ce qui serait au détriment de la descendance des parents!)

Chez une autre espèce (les grandes aigrettes), le jeune supplémentaire est aussi bien une assurance qu'une valeur reproductive supplémentaire quand il y a suffisamment de ressources pour tous les jeunes. En effet, quand il y a assez de ressources, le niveau d'agression entre frères diminue, et le cadet survit souvent.

8.10.6                     Dans d'autres cas, il y a conflit d'intérêt

En moyenne, un parent partage 50% de ses gènes (au sens où on l'a dit plus haut!) avec chacun de ses enfants. Du point de vue des parents, les enfants sont génétiquement équivalents entre eux. Si les circonstances le permettent, tous les enfants peuvent être élevés.

Dans ces conditions, le parent veut offrir à chaque enfant la même chose (car c'est ce qui maximise son succès reproducteur à lui). Mais l'intérêt des petits diverge de celui des parents.

8.10.6.1                               Le conflit de sevrage[108]

Chez de nombreux mammifères on observe un décalage temporel entre désir du petit et désir de la mère lors du sevrage. Ainsi, chez le chat [WIL-343], il y a trois phases consécutives dans les soins maternels:

1.     Le plus souvent c'est la mère qui initie les soins. La mère ne résiste jamais aux avances du petit.

2.     Les approches sont faites par les deux individus avec égale fréquence. Parfois, la mère rejette le petit, avec hostilité.

3.     Le petit fait seul les avances pour être allaité: il est toujours rejeté (moment du sevrage proprement dit).

On trouve des exemples très semblables chez les primates. Chez le babouin, on voit clairement le passage d'une phase où c'est la mère qui recherche le contact avec le petit, à une phase où c'est le petit qui recherche le contact avec la mère.

Chez le macaque, par exemple, la femelle repousse avec la main la tête du petit qui tète, elle lui coince la tête sous le bras, et finalement elle le décroche de son corps et le pose au sol, d'où le juvénile, en criant de dépit, essaie de revenir.

Chez le langur le conflit peut durer plusieurs semaines. Le petit pousse des cris perçants pour être nourri, et peut même frapper la mère qui refuse de le nourrir.[109]

Chez les ongulés, on observe également de l'hostilité ouverte: au printemps, le jeune élan (qui a une année alors que la femelle vient de mettre au monde un autre petit) est brutalement repoussé par la femelle hors de son  territoire. Le jeune traîne dans les environs et essaie de revenir.

On expliquait classiquement que c'était un mécanisme de rupture de la relation, qui obligeait le petit à gagner son indépendance. Trivers[110] (1974) a choisi une explication radicalement différente. Ce serait le résultat de l'action de la sélection naturelle qui opère de manière opposée pour les deux générations.

Prenons le cas des Primates: la mère a déjà beaucoup investi dans le petit (grossesse: 6 mois chez le babouin, 8 chez le chimpanzé). Elle va donc continuer à materner après la naissance, en particulier en allaitant le petit. Ce faisant, elle favorise l'extension de ses propres gènes dont le petit porte une moitié.

Mais le jeune va grandir, et les soins maternels lui seront de moins en moins utiles; si la mère est jeune, elle pourra avoir d'autres enfants. Elle aura donc avantage à diminuer, voire refuser les soins maternels (allaitement, réconfort) au moment où le jeune sera suffisamment autonome.

Pour le jeune, il est (génétiquement) aussi avantageux d'avoir des frères et sœurs, qui porteront en moyenne la moitié de ses propres gènes. Donc il y a un accord de principe: il faut que le petit soit sevré. Mais les deux acteurs ne sont pas d'accord quant au moment du sevrage:

·        Pour la mère, le nourrissage du petit coûte de l'énergie et l'allaitement prolongé retarde la future gestation et donc diminue le succès reproducteur futur de la mère: la mère veut donc sevrer dès que possible; en fait, dès le moment où les soins maternels lui coûtent autant (en succès reproducteur futur) que le bénéfice qu'en retire son petit actuel. Appelons ce moment T1.

·        Pour le jeune, c'est différent. S'il a bien 50% de gènes en commun avec son frère ou sa sœur, il a 100% de gènes en commun avec lui-même. Donc il n'accordera à ses frères et sœurs que la moitié des soins maternels qu'il exige pour lui-même. Le jeune essayera donc de téter jusqu'à ce que le coût reproducteur pour la mère (donc pour les frères et sœurs potentiels) soit le double du bénéfice qu'il retire lui-même de l'allaitement. Ce moment (appelons-le T2) est évidemment plus tardif que le moment "optimal" du sevrage pour la mère.

 

Une façon de se représenter cela est d'imaginer, pour les soins et l'allaitement, les courbes de coût cumulé C pour la mère et de bénéfice cumulé B pour le petit. Au début de l'allaitement, la courbe B est au-dessus de la courbe C (le petit retire un grand bénéfice de l'allaitement). Après un certain temps, la courbe B s'infléchit (le bénéfice apporté par l'allaitement baisse, car le petit a d'autres sources de nourriture) et finalement ces deux courbes se croisent (coûts et bénéfices totaux identiques): c'est le point T1. Un peu plus loin, la courbe C (qui est maintenant au-dessus de la courbe B) va atteindre un point où elle est à une valeur deux fois plus élevée que la courbe B: c'est le point T2. Puisque les deux moments ne coïncident pas, on peut s'attendre à une période de conflit limitée, commençant en T1 et se terminant en T2. Ce conflit résulte de la différence dans les manières dont les deux individus (parent, enfant) maximalisent leur fitness. Il ne résulte pas de l'égoïsme du petit, mais des égoïsmes du petit comme du parent!

8.10.6.2                               La régression comme manipulation psychologique[111]

[TRI-155] Celui qui sait le mieux quels sont ses besoins (faim...), c'est le petit. La sélection a donc dû favoriser le fait que les parents soient attentifs aux signaux du petit qui signalent son état (le petit a faim, il crie, le parent répond de manière appropriée en le nourrissant). Tous deux, parent et petit, bénéficient de ce système de communication.

Mais si ce système a évolué, il peut aussi être manipulé: le petit peut crier non seulement quand il a faim, mais aussi quand il veut plus de nourriture que ce que le parent est disposé (évolutivement) à donner. On se retrouve dans une course aux armements: les parents subissent une pression de sélection visant à discriminer les signaux vrais de ceux qui sont faux, les petits, à produire des signaux plus vrais que nature!

Or, les petits les plus jeunes sont les plus vulnérables: les parents ont donc été plus fortement sélectionnées sur leurs réponses aux signaux émis par les tout-petits. Au cours de conflits (notamment de sevrage) avec le parent, le petit qui utilise cela a un avantage sélectif: ceci pousse les choses dans le sens qu'un petit va revenir à des signaux (gestes, postures) d'un âge plus jeune pour induire l'investissement parental correspondant. La sélection a donc mis en place les mécanismes de régression. On observe cela par exemple chez les babouins: sur l'image, le jeune de droite n'a que trois mois mais se tient assis sur la mère. Le jeune de gauche, lui, a plus de six mois mais a adopté la posture d'un bébé agrippé au pelage car il vient juste de se faire repousser lors d'une tentative de téter la mère.

8.10.7                     Conflit direct entre parent et enfant (n'impliquant pas la fratrie)

8.10.7.1                               Le conflit durant la grossesse

[Schäppi, BUS-215, WIL-341] Deux des risques courants associés à la grossesse (en particulier dans le dernier trimestre) sont le diabète gravidique et l'hypertension gravidique, cette dernière pouvant être extrêmement dangereuse. Sont-ce de simples accidents de parcours?

La grossesse: un travail de la mère, une coopération mère-fœtus? Oui, certes, mais... le génome de la mère n'est pas identique à celui du fœtus! On peut s'attendre à des conflits d'intérêt! David Haig (1993), un généticien, a fait le tour de la question:

Lors de l'implantation, des cellules fœtales (trophoblastes), envahissent l'endomètre[112] maternel et détruisent le revêtement intérieur des artères et la musculature de la paroi des artères: les artères ne répondent plus aux ordres maternels de vasoconstriction. Donc:

1.     Le fœtus a gagné un accès direct au sang maternel: La mère ne peut plus diminuer le contenu nutritif du sang qui arrive au placenta sans diminuer l'apport nutritif de tout son corps.

2.     Le volume de sang qui arrive au placenta ne peut plus être réglé.

8.10.7.1.1                                         Glycémie

En temps normal, lorsque quelqu'un se nourrit, le taux de glucose dans le sang augmente, puis il diminue car le corps secrète de l'insuline (le sucre est retiré du sang, stocké en graisses).

Mais le fœtus répond en secrétant des hormones placentaires (rappelez-vous: le placenta appartient au fœtus!) qui empêchent le corps de la mère de répondre à l'insuline. La glycémie de la mère reste élevée, et elle doit secréter encore plus d'insuline. C'est ainsi qu'on constate une chez la femme enceinte la coexistence (inhabituelle) de taux élevés à la fois de glucose et d'insuline. Si la mère n'arrive pas à contrecarrer l'action fœtale, il y a dérapage vers le diabète gravidique (des femmes enceintes).

8.10.7.1.2                                         Hémodynamique

Sur le plan hémodynamique, c'est semblable. Le foetus a manipulé le flux sanguin maternel en l'augmentant dans le placenta. La mère réagit localement au niveau du placenta, mais également en augmentant la vasodilatation périphérique des veines (ce qui correspond à éloigner le sang du placenta et du fœtus en l'augmentant ailleurs), ce qui risque d'entraîner des varices. Mais le fœtus répond en secrétant des hormones qui augmentent la résistance vasculaire périphérique de la mère, pour renvoyer le sang vers le placenta. Le conflit peut être à l'origine d'une hypertension gravidique.

Donc l'accord de principe n'exclut pas qu'il y ait conflit, dont l'enjeu peut être résumé ainsi:

1.     Le fœtus essaie de prolonger la grossesse en la rendant aussi nutritive que possible

2.     La mère cherche à se protéger et à abréger la durée de la grossesse.

8.11Altruisme envers les proches, ou: de la fitness à l'inclusive fitness

8.11.1                     Illustration: l'entraide des spermatozoïdes

Les spermatozoïdes du même mâle partagent 50% de leurs gènes. Ils sont donc autant apparentés entre eux que des frères, et ils sont en tout cas bien plus apparentés qu'avec les spermatozoïdes d'un autre mâles dans un cas de sperm competition!

Ainsi, on connaît des cas d'entraide de spermatozoïdes: ceux de l'opossum se groupent par deux et nagent ainsi plus efficacement...

8.11.2                     Illustration: les insectes éosociaux[113]

8.11.2.1                               Le succès des insectes sociaux

[JAI-71] Dans les forêts tropicales du centre et du sud de l'Amérique, les fourmis dominent tout autre groupe du règne animal. Les fourmis, les termites, les abeilles et guêpes sociales représentent plus des trois quarts de la biomasse de l'ensemble des insectes. Les fourmis à elles seules pèsent 4 fois plus que tous les vertébrés de ces forêts (amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères).

Le succès de ces insectes est d'autant plus évident qu'il est le fait d'une minorité d'espèces. La plupart des espèces d'insectes sont solitaires. Il y a 750'000 espèces d'insectes répertoriées, et seules 13'000 sont hautement sociales, ou "éosociales".[114]

8.11.2.2                               L'éosocialité

Dans la société humaine et chez les autres vertébrés sociaux, il y a répartition des rôles entre les membres de la société, mais cette répartition n'englobe pas la reproduction (il n'y a pas de caste spécialisée dans la reproduction!). Chez les insectes qu'on vient de voir et chez certains rares vertébrés, le partage des tâches englobe aussi la reproduction. C'est le niveau de société le plus avancé du point de vue de l'Evolution, et il est dit éosocial.

Les caractères de la socialité avancée, ou éosocialité, sont:

1.     Superposition, dans un même groupe social, de plusieurs générations adultes.

2.     Cohésion entre les membres du groupe

3.     Division des rôles avec notamment spécialisation d'un groupe restreint d'individus dans la fonction reproductrice, les autres étant stériles et engagés dans des actes altruistes

4.     Elevage coopératif des jeunes

8.11.2.3                               Le paradoxe de l'éosocialité

Dans les points précédents, on trouve le fait que seule une minorité des individus se reproduit; les autres ne font que des tâches altruistes qui "aident" les reproducteurs. Ces altruistes renoncent donc à se reproduire eux-mêmes; ils semblent donc renoncer à passer leurs gènes aux génération suivantes. Cela semble aller à l'encontre de la logique même de la sélection naturelle.

En effet, dans ce qu'on a vu jusqu'à maintenant, on se souviendra qu'une explication d'un comportement en termes de "pour le bien du groupe, même au détriment de soi-même" ne tient pas évolutivement. Il faut donc expliquer ce paradoxe autrement.

8.11.2.4                               Le cas particulier des hyménoptères

Chez les isoptères (termites), il y a 2'300 espèces, toutes éosociales. Les termites sont monophylétiques: elles descendent toutes d'un même ancêtre commun, passé à la vie sociale: une sorte de cafard mangeur de bois et vivant en groupes familiaux. L'éosocialité n'est donc apparue qu'une fois dans ce groupe.

Par contre, la plupart des hyménoptères sont solitaires. Si toutes les fourmis sont éosociales, la plupart des abeilles, bourdons et guêpes sont solitaires, et on pense que l'éosocialité est apparue de manière indépendante au moins 12 fois chez les hyménoptères, au moment où se diversifiaient les plantes à fleurs, il y a un peu plus de 100 millions d'années[115].

Comment expliquer l'apparition indépendante, aussi souvent que cela et de manière "concentrée" chez les hyménoptères, de l'éosocialité? Quelle est la particularité des hyménoptères qui peut l'expliquer?

8.11.3                     Le coefficient de proximité génétique

8.11.3.1                               Des gènes en commun: mise au point

On a eu l'occasion de faire référence plus haut au fait qu'on partage en moyenne 50% de ses gènes avec un frère ou une sœur. Il s'agit en fait d'un raccourci: [JAI-171] Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont en commun que 50% de leur hérédité totale!

En effet, la majorité des gènes sont invariables entre un individu et l'autre; c'est d'ailleurs cette partie invariable qui fait de la mouche une mouche, et de l'homme un homme.

Lorsqu'on dit que deux frères ont en commun (en moyenne) 50% de leurs gènes, on ne parle que de la partie variable du génome. En réalité, ils ont donc commun toute la partie invariable de leur génome, et en plus 50% de la partie variable.

A titre de comparaison, la différence génétique totale entre l'Homme et le Bonobo n'est que d'env. 1%. Cela ne veut pas dire qu'un chimpanzé est génétiquement plus proche de vous que votre frère ou soeur...

8.11.3.2                               Le coefficient r

On exprimera le pourcentage moyen de gènes (au sens ci-dessus) en commun par le coefficient de proximité génétique, habituellement dénoté par r (relatedness), et compris entre 0 et 1. Ainsi, entre frères, le coefficient r est de 0.5. (=en moyenne 50% de gènes variables en commun); entre cousins germains, il est de 0.125 (en moyenne, 12.5% de gènes en commun). On le calcule facilement comme 0.5n, où n est le nombre d'étapes familiales à parcourir entre les individus. Ainsi, de vous à votre cousin germain, il y a trois étapes:

1.     de vous à un de vos parents;

2.     de ce parent à son frère ou à sa sœur (votre oncle/tante);

3.     de cette personne à son enfant, qui est votre cousin germain.

Et 0.5 puissance 3 vaut effectivement 0.125.

8.11.4                     L'inclusive fitness, ou: comment reproduire ses propres gènes autrement

La fitness[116] darwinienne, on l'a vu, est la mesure du succès reproducteur relatif de l'individu, son succès en ce qui concerne le passage de ses gènes aux générations suivantes, via ses enfants.

Au début des années 60, William Hamilton, alors thésard à Oxford, eut un éclair de génie: il réalisa que cette définition était trop étroite pour expliquer l'effet de la sélection naturelle sur la fréquence relative des allèles (gènes) dans la population: Il est vrai que la sélection naturelle favorise les caractères qui aident à la transmission des gènes (par définition!), mais pas nécessairement via des descendants directs.

On vient de le rappeler: relativement à un organisme, des frères ou soeurs, des cousins ou cousines, des neveux ou nièces, etc., ont tous une certaine probabilité de porter des copies des gènes de cet organisme; probabilité d'autant plus élevée que le parent est proche (i.e. a un coefficient r élevé).

Dans ce contexte, les soins parentaux (tels qu'on les observe par exemple chez la foulque macroule de nos régions: envers les descendants directs) ne sont qu'un cas particulier du cas plus général des soins envers la parentèle (en anglais "kin").

Par conséquent, la fitness globale, ou inclusive fitness, d'un individu (en termes de passage de ses gènes aux génération suivantes) peut être considérée comme la somme:

·        de la fitness darwinienne classique (F) de l'individu;

·        augmentée des effets (bénéfices, B) que les actions de l'individu ont sur la reproduction des membres de la parentèle génétique, pondérés par le coefficient de proximité génétique entre l'individu et les membres de la parentèle;

·        diminuée des coûts C reproducteurs que ces mêmes actions imposent à l'individu directement.

IF = F + r.B - C

(bien entendu, si l'individu agit envers plusieurs membres de la parentèle, les différents effets pondérés, ainsi que les différents coûts, doivent être additionnés terme à terme).

Dans le cas où l'individu ne consacre pas d'énergie à sa parentèle, on a le cas dégénéré évident:

IF = F.

La différence entre ces deux cas ne tient donc qu'à la partie Coûts et Bénéfices. Si la somme des coûts et des bénéfices est positive, alors IF > F

Qu'est-ce que cela veut dire? Que l'évolution aura pu mener à des comportements de type altruiste pour autant que les situations aient été telles que les bénéfices pondérés aient été supérieurs aux coûts,

r . B > C       (règle de Hamilton)

Aider un proche à se reproduire ne va être sélectionné par l'évolution que si le bénéfice (indirect) est strictement supérieur au coût (direct). En clair: l'évolution ne favorisera pas le comportement d'aider un frère si cela (a) diminue le nombre de vos enfants et (b) n'augmente pas ses chances à lui d'en élever suffisamment pour compenser votre propre perte en termes de proportion de vos gènes conservés dans le pool génétique.

Ce n'est donc pas uniquement la proximité génétique qui compte, mais également le nombre d'apparentés qui sont aidés. Ou, comme le disait le célèbre biologiste J.B.S. Haldane: "Je veux bien sacrifier ma vie si cela peut sauver 4 de mes petits-enfants ou bien 8 de mes cousins germains!"

8.11.5                     L'éosocialité des hyménoptères expliquée

Hamilton cherchait à expliquer l'éosocialité des hyménoptères, et plus spécifiquement le fait que l'éosocialité soit apparue si facilement (de manière répétée) chez les hyménoptères. Pour l'expliquer, il faut partir d'une spécificité particulière à cet ordre: l'haplodiploïdie.

8.11.5.1                               L'haplodiploïdie

Les hyménoptères ont la particularité unique que leurs espèces sont à la fois haploïdes (un seul jeu de chromosomes, comme dans les gamètes) et diploïdes (un double jeu de chromosomes, comme dans les cellules autres que les gamètes): les femelles sont diploïdes et les mâles, eux, proviennent d'œufs non fécondés et sont donc haploïdes (nous avons vu précédemment que la femelle peut biaiser la sex-ratio selon les besoins du moment, en contrôlant la fécondation des ovules qui passent devant la spermathèque).

Soit par exemple une abeille mâle donnée. Ce mâle aura en moyenne 50% de gènes en commun avec un frère (chaque chromosome d'une paire de la mère pouvant être tiré au hasard, la fourchette va de 0% à 100% avec une moyenne à 50%)

Soit une abeille femelle donnée: elle aura en commun avec une sœur 100% de gènes, pour les chromosomes provenant de son père (n'étant que haploïde, le père ne peut diviser ses chromosomes en deux pour faire des gamètes! Il n'y a de méiose que chez la femelle); et 50% pour les chromosomes provenant de sa mère (ce qui est la proportion usuelle des espèces diploïdes). 100% pour une moitié des chromosomes (paternels), 50% pour l'autre moitié (maternels): au total, le r entre deux sœurs est de:

(1 + 0.5) / 2 = 0.75.

Dans ces conditions, pour un individu qui ne se reproduit pas directement mais aide une de ses sœurs (la reine!) à avoir des descendants, la perte en participation au pool génétique est moindre que dans le cas habituel des animaux strictement diploïdes.

Ceci entraîne un biais en faveur de l'apparition de l'éosocialité chez les hyménoptères.

8.11.5.2                               La proximité génétique n'est pas le seul facteur

En fait, seuls les aculéates (porte-aiguillon), parmi les hyménoptères, ont évolué l'éosocialité. D'autres facteurs entrent aussi en jeu, que nous ne mentionnerons pas ici. De même, on trouve des espèces éosociales en-dehors des hyménoptères (peu, il est vrai). Des facteurs liés au style de vie et à l'histoire de vie ont également un rôle important.

8.11.6                     Illustration: les amibes acrasiales

[JAI-56] Les amibes acrasiales (qui ne sont pas vraiment des amibes mais des moisissures gélatineuses cellulaires[117]) ont une existence unicellulaire et rampante; ce sont des prédateurs de bactéries dans le sol, l'humus... Elles se multiplient par division (mitose).

Quand les conditions deviennent défavorables, elles ne s'enkystent pas, contrairement à d'autres amibes: elles adoptent une stratégie sociale. Les premières affectées émettent un signal chimique (acrasine, qui est de l'AMP cyclique) qui en attire d'autres, qui remontent le gradient de diffusion et convergent en étoile. Elles s'agglutinent en forme de saucisse, puis de limace (2 mm de long). Ce pseudoplasmide a des mouvements coordonnés, comme une limace! Le pseudoplasmide se déplace durant quelques jours, jusqu'à la surface du substrat. Il se ramasse en une masse sphérique, qui se transforme en sporocarpe (comme un champignon: un pied et une capsule sporifère composée d'amibes enkystées). La capsule sporifère finit par être surélevée nettement au-dessus du substrat, à l'air libre: une meilleure opportunité pour les spores d'être entraînées par un vecteur (air, eau, animal). A la fin de ce cycle, les spores sont dispersées et les amibes, à nouveau solitaires, en émergent.

Lors de la constitution du sporocarpe, chaque amibe choisit (en quelque sorte!) sa destinée. S'enkyster dans la capsule sporifère et se reproduire, ou bien devenir partie du pied, et ainsi périr mais aider les autres.

Dans la théorie de la parentèle, on peut prédire que les individus du pied seront d'autant plus prompts à se sacrifier qu'ils sont génétiquement proches de ceux de la tête. Le taux d'altruisme peut être représenté par le rapport entre volume de la capsule sporifère et celui du pied (les amibes du pied se sacrifient pour les amibes de la tête, enkystées, et qui vont se reproduire). Si la proximité génétique moyenne des individus est moindre, l'altruisme devrait être moindre, donc, le pied devrait être plus petit (relativement à la capsule).

Steven Kolmes a manipulé le r moyen de 3 populations d'amibes: il a pris deux lignées pures d'amibes, et en a obtenu une troisième par mélange d'individus des deux premières lignées. Il a mis chacune de ces lignées dans des conditions favorisant la fructification en sporocarpe. Et il a bien constaté que le pied était plus petit (relativement à la capsule sporifère) dans la lignée mélangée que dans les deux lignées pures.

8.11.7                     L'éosocialité des rats-taupes nus

[SHE-223] Les rats-taupes nus (Heterocephalus glaber), des petits (20-35 g) rongeurs souterrains de la Corne d'Afrique (Somalie, Kenya, Ethiopie) forment des communautés éosociales: dans les colonies, les générations se superposent, et les soins aux jeunes sont données coopérativement. A la tête de la colonie, il y a une reine, qui s'accouple avec quelques mâles. Toutes les tâches de la colonie (recherche de nourriture, transport de matériaux, creusage et nettoyage, défense) sont assurées par des individus qui ne se reproduisent pas, et ventilées en fonction de la taille des individus! Les autres femelles n'ovulent pas. La reine est l'individu le plus gros de la colonie; elle est agressive et dominante. Lorsque la reine meurt, il y a des combats violents entre les femelles restantes, dont l'une devient la reine.

Les colonies (70-80 membres) vivent en tunnels fermés (jusqu'à 3 km de tunnels par colonie). Le creusage est coopératif (en chaîne); une colonie évacue par des taupinières (refermées ensuite) une demi-tonne de terre par mois.

Les individus vivent longtemps (16 ans et plus en captivité), la reine produit une portée (12 petits) tous les 70-80 jours.

Comment expliquer l'émergence d'une société altruiste chez des espèces qui ne sont pas haplodiploïdes comme les termites ou, ici, les rats-taupes? En fait, plusieurs générations d'inbreeding augmentent le coefficient r au point qu'il devient plus élevé entre frères et sœurs qu'entre parents et enfants (on a mesuré r = 0.81 chez les rats-taupes).

Cela étant, l'explication ne suffit pas: il faut raisonner en termes de coûts et de bénéfices associés au fait de rester dans le groupe natal et d'aider les siens, comparés aux coûts et bénéfices associés à la dispersion (le fait de quitter le noyau familial) et à la reproduction. Donc l'autre précondition probable (à part un r élevé) pour l'évolution de l'éosocialité semble être l'existence de soins parentaux dans nid protégé. Dans ce cas, si le coût associé à la dispersion est élevé (moins de nourriture, peu de probabilité de reproduction, vulnérabilité aux prédateurs, difficulté d'établir un nouveau nid), et que les bénéfices indirects associés à rester sont élevés (quand les reproducteurs sont aidés, il produisent nettement plus de petits), l'ensemble peut mener à une structure où certains individus renoncent à se reproduire car chaque individu produit plus de copies de ses gènes de manière indirecte qu'il ne pourrait en produire, en moyenne, de manière directe.

Si une mutation a amplifié à un moment donné le comportement familial en coopération un peu plus sociale, le nombre d'individus portant ce gène a dû augmenter dans la population relativement à ceux qui ne le portaient pas: Les parents produisant des enfants portant le gène étaient davantage aidés, donc produisaient plus d'enfants portant le gène que d'autres; d'autre part, la perte en part du gâteau génétique occasionnée par l'aide (moindre reproduction directe) était plus que compensée par l'accroissement indirect.

8.11.8                     L'altruisme en fonction de r: Les aides au nid

[WIL-452] Chez le geai à gorge blanche de Floride[118], un oiseau qui habite un environnement discontinu et sablonneux, les individus vivent longtemps (8 ans et plus) et se reproduisent tard (à 2 ans); les couples se forment à vie; la moitié des couples environ (36 à 71 % en fonction de l'année, selon l'étude longitudinale de Woolfenden) a des aides, qui ne participent pas à la construction du nid ou à l'incubation, mais par contre participent dans tous les autres domaines (défense du territoire et du nid contre d'autres geais; attaque contre les prédateurs, nourrissage des petits).

Woolfenden a observé 74 cycles de reproduction (c.-à-d. 74 cas de nidification sur quelques saisons, un couple pouvant participer à l'échantillon plusieurs fois), et a déterminé quel était le lien parental entre les aides et les membres du couple:

lien de parenté avec les membres du couple

nombre de cas observés

ce sont les deux parents de l'aide

48

le père de l'aide et une femelle sans lien

16

la mère de l'aide et un mâle sans lien

2

le frère de l'aide et une femelle sans lien

7

un couple sans lien

1

 

Les parents les plus proches sont le plus aidés.

Pour que l'aide (qui ne se reproduit pas lui-même) ne soit pas perdant, il faut effectivement qu'on constate que l'aide apportée augmente le succès reproducteur du couple, et donc l'inclusive fitness de l'individu qui aide.

Woolfenden a pu comparer[119] les couples sans aide avec des couples aidés:

 

nombre de petits quittant le nid

nombre de petits encore vivants 3 mois après avoir quitté le nid

sans aide

1.1

0.5

avec aide

2.1

1.3

 

Il semble que la différence soit due surtout à la défense améliorée contre les prédateurs, en particulier les grands serpents qui attaquent les petits au nid. Les aides améliorent la vigilance de la famille et les capacités de mobbing (rameutage) contre le prédateur. Cette différence est encore augmentée pour la survie à plus long terme (petits plus robustes?).

[KRE-236] Emlen et collègues ont pu vérifier quels nids choisissent des aides guêpiers à front blanc lorsqu'ils ont le choix entre des nids dont les petits ont un r différent relativement à l'aide en question: les guêpiers choisissent majoritairement d'aider les petits qui leur sont le plus proches génétiquement.

Cette structure "amicale" est encore renforcée par un autre effet: dans ces conditions de fort r, il n'y a pas de compétition sexuelle entre les aides et le mâle résident (en raison des risques associés à l'inbreeding).

8.11.9                     L'altruisme en fonction de r chez l'humain

8.11.9.1                               La coopération des jumeaux monozygotes (pas donné en 2001-2002)

[JAI-277] Nancy Segal a comparé des jumeaux monozygotes (MZ; r = 1) et des jumeaux dizygotes (DZ; r  = 0.5) dans des tâches de coopération. La théorie de la parentèle prédit que l'altruisme doit être supérieur entre jumeaux MZ qu'entre jumeaux DZ.

Segal a sélectionné 47 paires de jumeaux de même sexe (23 paires de garçons, 24 paires de filles), entre 6 et 10 ans. Il y avait 34 paires MZ et 13 paires DZ, comparables au point de vue méthodologique.

Les jumeaux devaient reconstituer ensemble un puzzle situé (au départ) à égale distance. Les enfants ont été filmés, puis deux personnes (dont l'une ne pouvait voir les visages des 2 enfants à la fois et ignorait l'hypothèse de base) ont jugé indépendamment la vidéo.

Parmi neuf critères relevant de l'hypothèse, 7 se sont révélés significatifs statistiquement:

1.     Les MZ ont résolu la tâche plus vite.

2.     Les MZ ont laissé le jeu à égale distance des deux plus souvent.

3.     Les MZ montraient moins de regards distraits.

4.     Les MZ observaient davantage les actions de l'autre jumeau.

5.     Les MZ montraient davantage d'expressions faciales positives (joie, surprise, fierté)

6.     Les MZ montraient moins de gestes agressifs (retirer une pièce des mains, bousculer, frapper)

7.     Les MZ montraient davantage de signes de satisfaction mutuelle une fois le puzzle terminé.

8.11.9.2                               Grand-parents

[BUS-236] Malgré la disparition dans notre société des familles étendues, le lien entre grands-parents et petits-enfants est resté important. Mais, dans la théorie de la parentèle, les grands-parents n'ont pas tous le même intérêt envers leurs petits-enfants.

En raison de l'incertitude de paternité et du patron d'infidélité sexuelle chez l'être humain, pour les quatre grands-parents d'un individu, le r probabiliste est différent. La grand-mère maternelle est liée par un r de 0.25 à son petit-enfant, avec une totale certitude. A l'autre bout de l'échelle, le grand-père paternel a aussi un lien, en principe, de 0.25, mais les risques associés à l'incertitude font que, de tous les grands-parents, il en est le moins sûr (on pourrait aussi dire, de manière équivalente, qu'en réalité le r moyen est inférieur à 0.25).

On peut s'attendre à ce que la grand-mère maternelle investisse le plus, le grand-père paternel, le moins, et les deux autres entre-deux. Deux études par questionnaire, l'une aux USA l'autre en Allemagne, vont dans le sens de cette hypothèse (la différence entre les deux grands-parents qui ont en principe le même degré d'incertitude peut éventuellement s'expliquer par la prise en compte du fait que le risque d'infidélité sexuelle était plus élevé dans la 2ème génération?)

8.11.9.3                               Oncles

[ALC-629] Dans certaines sociétés d'Océanie, la permissivité sexuelle est plus grande que dans nos sociétés. Par conséquent, la certitude de paternité y est basse. Dans ces cultures, il es traditionnel que l'homme investisse peu dans les enfants qu'il a (peut-être) eus avec sa femme, et, au lieu de cela, apporte son aide aux enfants de ses sœurs (pas de ses frères, incertains eux aussi de leur paternité!).

Alexander a montré que si l'homme n'est le père, en moyenne, que d'un de ses enfants sur quatre, son r moyen avec les enfants de sa femme est de 1/8 (¼ d'un r de ½), mais de 5/32 avec ses neveux et nièces du côté de sa sœur[120].

8.11.9.4                               Qui aide(nt) les femmes de Los Angeles?

On a questionné 300 femmes de Los Angeles (âge: 35-45) sur qui elles avaient aidé ou qui les avait aidées (plus de 5000 occurrences en tout).

Le patron d'aide envers la parentèle correspond à ce qu'on pourrait attendre dans le contexte de la théorie de la parentèle.

Néanmoins, il faut noter que seul 1/3 des interactions d'aide étaient dirigées vers ou dues à la parentèle. Le reste avait lieu dans des contextes d'aide entre amis, ce qu'il faudra bien expliquer en-dehors de la théorie de la parentèle!

8.11.9.5                               L'adoption

[ALC-613] En 1976, l'anthropologue Marshall Sahlins a critiqué la sociobiologie sur la base de données indiquant qu'en Océanie, 30% des enfants sont adoptés. Sahlins affirma que ces pratiques n'avaient pas de lien avec la parentèle, ce qui rendait impossible l'analyse de ces traditions dans un cadre évolutif, et, de manière générale, montrait la non-pertinence de la théorie évolutionnaire pour expliquer les traditions humaines.

L'hypothèse que réfutait Sahlins était évidemment celle de la sélection indirecte (altruisme envers la parentèle). Or, Joan Silk a étudié les patrons d'adoption dans ces îles (11 cultures), et elle a trouvé que l'adoption ne se fait pas de manière arbitraire, mais de manière liée (au moins en grande partie) à la proximité génétique.

Néanmoins, une partie des adoptions semblent être un investissement à perte puisqu'elles se font entre individus non apparentés. Cependant, l'hypothèse de la sélection indirecte n'est pas la seule possible. On peut poser une autre hypothèse évolutive: celle d'un gain direct en fitness. Dans une société rurale, plus d'enfants veut dire plus de bouches à nourrir, mais aussi plus de productivité; en-dessous d'un certain nombre de travailleurs, le rendement chute. On peut prédire que ce sont les familles les plus petites qui adopteront le plus; c'est bien ce que Silk a trouvé.

Il reste encore une autre possibilité: que l'adoption ne soit pas une adaptation, mais un effet collatéral d'un comportement adapté. En effet, l'envie d'avoir des enfants et de s'en occuper, en général, est adaptative. Les mécanismes psychologiques ont été sélectionnées parce qu'ils augmentaient la fitness, et ils peuvent être conservés dans la population même si parfois ils provoquent des comportements qui ne sont pas adaptés (au sens darwinien, bien sûr!), comme l'adoption d'un étranger. Une prédiction évidente est que l'adoption doit apparaître préférentiellement chez des gens qui ne peuvent avoir d'enfants, ou ont perdu le leur. Chez l'animal, on trouve des cas d'adoption semblables (cf. un exemple chez le Manchot Empereur) chez des animaux qui ont perdu leur petit.

8.11.10                En conclusion

Le comportement des individus (en particulier lorsque ce sont des humains...) ne se conforme pas nécessairement à la logique de l'inclusive fitness! Mais cette logique définit les conditions sous lesquelles l'aide envers la parentèle a pu évoluer. Elle définit les pressions de sélection qui agissent sur les gènes, et en particulier sur les gènes qui génèrent les comportements altruistes. Les caractères qui entreraient dans la population accidentellement (mutation) et qui violeraient la règle de Hamilton seraient contre-sélectionnés.

S'il existe des mécanismes liés à la parentèle (beaucoup d'espèce n'en ont pas!), la théorie de Hamilton permet des prédictions quant à la forme de ces mécanismes (envers qui sont-ils dirigés, avec quelle intensité).

8.12Retour à la reconnaissance des apparentés

8.12.1                     La théorie de la parentèle implique reconnaissance de la parentèle

[JAI-65] Pour aider son prochain, il faut pouvoir le reconnaître comme son prochain. Le donneur altruiste doit pouvoir reconnaître son degré de proximité génétique avec autrui.

Donc les caractères génétiques prédisposant aux comportement altruistes doivent s'appuyer sur trois propriétés étroitement liées entre elles:

1.     L'aptitude à développer des indices de reconnaissance portés à la surface de l'organisme;

2.     L'aptitude à percevoir ces indices de façon graduée en fonction de la proximité génétique;

3.     La possibilité de graduer les comportements en fonction de la proximité génétique.

8.12.2                     Les mécanismes proximaux de la reconnaissance: rappel

On a déjà vu précédemment les exemples suivants:

Bateson et le Amsterdam Apparatus: les marquages du plumage servent de mesure de proximité génétique. L'individu choisira comme partenaire sexuel préférentiellement un "apparenté mais pas trop", i.e. un cousin germain, ce qui évite aussi bien les problèmes liés à l'inbreeding que le risque de briser une coalition de gènes qui a eu du succès dans un environnement donné.

Ceci montre qu'il existe des mécanismes de reconnaissance des apparentés. Bateson pensait que chez la caille ils dépendaient d'un mécanisme d'imprégnation (visuelle).

Notons au passage que chez l'être humain, l'évitement de l'inbreeding repose au moins partiellement sur les mêmes mécanismes. Sheper a montré que sur 2769 mariages d'enfants élevés en groupes dans des kibboutz jusqu'à au moins 6 ans, aucun ne s'est réalisé entre enfants (non apparentés) provenant du même groupe. [JAI-288].

Holmes a montré que des Ecureuils de Belding élevés ensemble sont par la suite moins agressifs entre eux: il y a ici aussi  apprentissage (par imprégnation?) de la reconnaissance des membres de la famille. Mais Holmes a aussi montré que des sœurs biologiques élevées séparément se traitent mieux que des non-sœurs. Il y a donc, outre l'apprentissage, une façon autre de se reconnaître, ici probablement sur des traits olfactifs non appris.

8.12.3                     Souris et odeurs

[ADA-92] Le Complexe Majeur d'Histocompatibilité[121] est un groupe de gènes dont certains subissent facilement des mutations: donc il existe pour ces gènes-là de très nombreux allèles, et deux individus non apparentés ont très rarement des systèmes d'histocompatibilité identiques. Cette diversité détermine en grande partie l'identité biochimique de la surface cellulaire et donc celle de l'individu.

Gary Beauchamp et al., des généticiens, avaient deux lignées de souris congéniques[122] ne différant que par le CMH. Ils ont observé par hasard que les mâles s'accouplaient préférentiellement avec des femelles de type différent[123]. Le CMH joue un rôle dans la reconnaissance et la réponse immunitaire, et il y a une relation importante entre la diversité du CMH et les variations anatomiques, physiologiques et de développement qui font supposer que le CMH joue un rôle fondamental dans le développement à partir de l'ovule fécondé.

Des souris (renforcement: eau; protocole en aveugle) pouvaient être entraînées à distinguer l'odeur (urine) de deux individus ne différant que par leur CMH et différant de l'individu testé.

Ce qu'on a observé chez la souris, en résumé:

1.     L'avortement spontané des souris femelles en réponse à l'odeur de l'urine d'un mâle dépend de la similitude entre les CMH du père et de l'intrus: si les CMH diffèrent, l'avortement est plus probable.

2.     En milieu expérimental comme en nature, les souris (mâles et femelles) se choisissent préférentiellement des partenaires sexuels différents d'eux-mêmes quant à leur CMH.

3.     Des souris femelles de même CMH sont plus susceptibles de se mettre en nid commun que des femelles différentes quant à leur CMH[124].

8.12.4                     Humains et odeurs

8.12.4.1                               Reconnaissance des apparentés

Richard Porter et al. ont pris 40 étudiants volontaires, et leur ont présenté deux maillots portés, au cours des trois nuits précédentes, par deux personnes: (a) le frère ou la sœur du sujet, qui ne l'avait pas vu(e) depuis 1-30 mois (en moyenne 7 mois). (b) une tierce personne de même sexe et âge que le parent, et fumant ou non comme le parent. Les tests étaient conduits en double aveugle. Sur les 40 sujets, 27 ont retrouvé le bon maillot. Vingt-deux des sujets étaient sûrs de leur choix, et sur ces 22-là, 21 étaient corrects. Dix-huit autres sujets étaient incertains, et, effectivement, seuls 6 d'entre eux avaient bien choisi.

La reconnaissance ainsi manifestée est-elle intégrée dans l'orientation des activités sociales ou sexuelles? On ne sait encore rien de la première question, mais on sait quelque chose sur la seconde...

8.12.4.2                               Préférences pour des partenaires optimalement différents

Claus Wedekind (Université de Berne) et coll. ont publié en 1995 des résultats encore plus étonnants. Ils ont testé 49 étudiantes et 44 étudiants quant à leur classe de complexe majeur d'histocompatibilité. Les hommes et femmes probablement ne se connaissaient pas (ils étaient de facultés différentes). On a demandé aux hommes de porter un T-shirt neuf en coton non traité durant deux nuits; on leur a demandé d'être neutre du point de vue des odeurs (pas de parfum, savon non parfumé, lessive non parfumée, éviter certaines nourritures, les lieux enfumés,. l'activité sexuelle, l'alcool, la fumée, et de dormir seuls dans leur lit).

Le lendemain de la 2ème nuit, les sujets femmes ont dû juger 6 t-shirts: 3 provenant d'hommes ayant un CMH proche de celui du sujet[125], trois ayant un CMH différent. Les t-shirts étaient présentés dans des boîtes en carton contenant un sac plastique avec un trou. Il y avait une 7ème boîte contenant un t-shirt non porté, qui permettait aux sujets de comparer. Ces femmes ont été testées dans la seconde semaine après leurs règles, car on sait qu'elles sont le plus sensibles aux odeurs à ce moment-là. On leur a fait aussi lire le roman de Patrick Süskind, "Le Parfum"...!

Ces femmes devaient juger l'odeur du T-shirt en ce qui concernait l'intensité, le fait qu'elle était plus ou moins agréable, le fait qu'elle était plus ou moins sexy.

Dans ses résultats, Wedekind a trouvé:

1.     que "sexy" était totalement corrélé à "agréable" (r=0.85)

2.     que les femmes qui ne prennent pas la pilule préfèrent l'odeur d'hommes différents d'elles sur le plan de l'histocompatibilité..

3.     que cette préférence s'inverse chez les femmes qui prennent la pilule!!!

En outre, pour les femmes ne prenant pas la pilule, l'odeur de ces hommes différents sur le plan CMH rappelait aux sujets l'odeur de leur partenaire (ou ex-partenaire) deux fois plus souvent que celles des hommes semblables quant au CMH, alors qu'il n'y a pas de différence pour ce qui est de la parentèle. Ceci indique que les odeurs corporelles dépendant du CMH peuvent effectivement jouer un rôle dans le choix d'un(e) partenaire.

Les résultats concernant les femmes qui prennent la pilule indiquent que durant la grossesse (un état simulé par la pilule du point de vue hormonal), les hormones stéroïdes produites peuvent inverser les préférences des odeurs. Ceci n'est sans doute pas relié au choix des partenaires sexuels, mais peut être comparable au fait que les souris préfèrent des individus semblables en CMH pour faire des nids en commun (c.-à-d., une femme enceinte va être attirée par des gens proches par le CMH, donc probablement apparentés, car ce sont eux les plus susceptibles de lui apporter de l'aide).

8.13Altruisme réciproque

Comme on l'a dit plus haut, les femmes de Los Angeles avaient été aidées par des membres de la parentèle en accord avec les prédictions de la théorie de la parentèle, mais, en dehors de la parentèle, une aide importante avait été apportée par des ami(e)s: des gens avec lesquels l'individu a, selon toute probabilité, un r de 0.

Ceci semble aller à l'encontre d'une théorie néodarwinienne du comportement altruiste, ou, si vous voulez, contre le fait que l'altruisme serait dû à un égoïsme génétique fondamental. Si l'on veut s'en tenir à un cadre évolutionniste moderne pour "lire" le comportement, ce qui est notre choix ici, il faut donc trouver des explications à cet altruisme qui n'est pas dirigé vers la parentèle.

8.13.1                     Illustration: le vampire d'Azara

Malgré le grand nombre de films racontant des variations sur l'histoire du comte Dracula, sur les 800 espèces de chauves-souris, il n'y en a que trois qui sont hématophages (toutes trois en Amérique tropicale et sub-tropicale).

La plus connue est le vampire d'Azara[126], gros comme une souris. Ces vampires habitent dans des grottes ou des troncs creux[127]. La nuit, ils sortent à des heures qui dépendent de la phase de la Lune, pour chercher leur repas de sang (de préférence sur des grands mammifères: ânes, chevaux; probablement, avant l'introduction de ceux-ci en Amérique, tapirs et cerfs). La chauve-souris, grâce à ses coussinets de pattes, atterrit délicatement sur son hôte endormi, s'accroche par ses pattes arrières à la queue ou à la crinière, et détecte (par voie thermique) un endroit bien vascularisé. L'animal effectue une incision indolore et ensuite il lape (il ne suce pas!) le sang qui s'écoule, durant une demi-heure (la salive est anticoagulante).

Un animal nourri n'a qu'une autonomie de 2 jours et demi: S'il ne trouve pas d'hôte durant la nuit, le vampire d'Azara n'a qu'une seconde chance de se nourrir: si la seconde nuit est également sans succès, l'animal meurt la troisième.

Wilkinson, qui a étudié cette espèce, a constaté d'une part que beaucoup d'animaux rentrent bredouilles (30% des jeunes, 7% des adultes). Or, le taux de mortalité annuelle n'est que de 24% et il n'est pas rare que des individus atteignent l'âge de 12 ans. Ces deux constatations laissent supposer l'existence d'actes altruistes. En effet, on observe un don de sang entre individus.

Wilkinson observa 110 échanges en identifiant donneur et receveur. 70% de ces échanges étaient de la mère à son petit; mais les autres 30% étaient des dons envers des petits étrangers ou des femelles adultes. Dans tous les cas, ces individus hors du cercle familial étaient affamés et disposaient de moins de 24 heures de réserves: sans coup de pouce, ils allaient donc mourir.

Pour le donneur rassasié, le coût est faible: il conserve une bonne autonomie; pour l'individu condamné, le gain est énorme. Le don s'observe au terme d'une toilette assidue faite par le demandeur au donneur. Entre adultes, il n'aura lieu que si les femelles sont apparentées (cas évident de l'altruisme envers la parentèle) ou alors si elles se côtoient de longue date.

Pourquoi cette dernière condition?

8.13.2                     Le Dilemme du Prisonnier

Quand une personne doit-elle coopérer? Quand doit-elle être égoïste? Robert Axelrod, auteur de The Emergence of Cooperation,  se posait ces questions (dans des contextes politiques en particulier) lorsqu'il a décidé d'aborder le problème en utilisant un jeu simple nommé le Dilemme du Prisonnier.

 [AXE-7] Dans le jeu qui porte ce nom, il y a deux joueurs. Chacun peut coopérer (C) ou faire défection (D). Chacun fait son choix sans savoir ce que l'autre va faire. La défection rapporte plus que la coopération, mais si les deux font défection, les deux perdent plus que si les deux avaient coopéré. La coopération rapporte d'ailleurs plus que la moyenne d'une défection contre quelqu'un qui coopère et d'une coopération vaine.

Supposons le tableau de gain suivant (les valeurs n'ont guère d'importance, mais elles doivent satisfaire aux conditions décrites ci-dessus.

 

B coopère

B fait défection

A coopère

G(A)=G(B)=3

G(A)=0; G(B)=5

A fait défection

G(A)=5; G(B)=0

G(A)=G(B)=1

 

En observant ce tableau, on peut se mettre à la place de A sur le point de prendre une décision:

S'il pense que B va coopérer, il est rentable de faire défection (Gain pour A dans ce cas: 5, contre 3 s'il coopère aussi).

S'il pense que B va faire défection, il est aussi rentable de faire défection (Gain pour A dans ce cas: 1, contre 0 s'il coopère).

Donc il est toujours rentable, rationnellement parlant, de faire défection; mais puisque tous suivent ce raisonnement, tous font défection, et le gain n'est que de 1, inférieur aux 3 points pour la coopération réciproque. D'où l'idée de dilemme: faut-il tout de même coopérer, et si oui, comment?

SI le jeu ne se joue qu'en un tour, ou en un nombre fini (connu) de tours, on peut montrer qu'à aucun moment il n'y a de raison pour les individus de coopérer.

Par contre, si la durée du jeu est indéfinie (Dilemme Itéré du Prisonnier), la coopération peut émerger.

8.13.3                     Tit for tat ("Un prêté pour un rendu")

A la fin des années 70, Robert Axelrod a mis sur pied un tournoi concernant le Dilemme Itéré du Prisonnier. Il a invité des théoriciens du jeu à envoyer des programmes qui pourraient jouer les uns contre les autres en coopérant ou en faisant défection à chaque étape, et ceci sur 200 étapes. Chaque programme avait son système de règles qui générait son comportement sur la base, par exemple, de ce qu'avait fait jusque-là son opposant, etc. La matrice des gains était celle indiquée plus haut.

Le gagnant fut le programme tit for tat soumis par Anatol Rapoport de la Faculté de Psychologie de l'Université de Toronto: ce programme était le plus simple (5 instructions!) des 14 programmes soumis, et ce fut pourtant le meilleur.

La logique de tit for tat est la suivante: Commencer par coopérer; ensuite, faire ce que l'opposant a fait (ce qui ne nécessite, par ailleurs, qu'une mémoire sur un pas). En fait, les programmes qui furent bons dans ce tournoi avaient tous cette propriété d'être "gentils", à savoir de n'être jamais les premiers à faire défection!

Dans le tournoi, le gain moyen réalisé par TFT fut de 504 points (la coopération permanente entre tous les programmes donnerait évidemment un gain moyen de 600 points). Les programmes "gentils" firent de 472 à 504 de moyenne; le plus efficace des autres, seulement 401.

Axelrod organisa un deuxième tournoi, en envoyant aux candidats l'analyse du premier tournoi. Il y eut cette fois 62 participants. Rapoport soumit à nouveau son TFT; à nouveau, il gagna.

Il faut noter [AXE-59] que TFT n'est une stratégie collectivement stable[128] (l'équivalent d'une Stratégie ES) que si le futur est important: il faut que les gains et pertes au pas suivant soient au moins aussi importantes que les 2/3 de l'importances qu'ils ont au pas courant. Dans ce cas, si tous les autres joueurs utilisent TFT, on ne peut pas faire mieux que d'utiliser la même stratégie et coopérer aussi. Ceci implique que si on peut prévoir qu'un joueur va quitter le jeu bientôt, le jeu devient biaisé et on peut gagner en faisant défection.

On peut cependant montrer que d'autres règles sont plus puissantes que TFT: Par exemple un TFT modifié qui ne fait défection qu'après deux défections (aussi étonnant que cela paraisse, c'est donc une règle encore plus "gentille", ou moins "œil pour œil, dent pour dent", qui est plus puissante!)

8.13.4                     Retour au Vampire

En fait, le vampire d'Azara est le seul exemple connu, en dehors de l'homme et de quelques singes, d'altruisme réciproque. Chez cette espèce, toutes les conditions étaient réunies pour l'apparition de ce comportement:

·        Associations durables des individus

·        Longévité suffisante pour permettre une symétrie des situations

·        Danger permanent dû à la nécessité d'un approvisionnement régulier

·        Faible coût pour l'altruiste

·        Grand bénéfice pour le receveur

·        Facultés sensorielles et mémorielles bien développées.

8.13.5                     L'altruisme réciproque chez l'homme

8.13.5.1                               Réciprocité chez les !Kung

[McFA-117] Les bochimans de l'ethnie !Kung dans le Kalahari sont un bon exemple d'altruisme réciproque dans une société de chasseurs-cueilleurs. Les femmes cueillent, les hommes chassent. Ceux qui ont du succès (en cueillette comme en chasse) fournissent de la nourriture à ceux qui n'ont pas eu de chance, sur la prémisse que ce service peut être retourné à une autre occasion. Ceux qui ont du succès n'en montrent pas de fierté (ceci peut être attribué au fait que les ressources sont rares et qu'il ne faut pas encourager leur surexploitation: les différents groupes ne font pas de compétition et ne se vantent pas). Quel que soit le travail réalisé dans la tribu (chasse, cueillette, nettoyage du camp, etc.), la récompense est la même: de la nourriture partagée.

8.13.5.2                               Le don du sang: altruisme réciproque indirect

[ALC-604[129]] Le don de sang ne semble pas pouvoir s'inscrire dans une approche évolutive du comportement. D'une part, il ne peut pas impliquer la sélection indirecte (par altruisme envers la parentèle) puisque donneur et receveur ne sont pas apparentés. En outre, il ne peut pas y avoir d'altruisme réciproque, puisque en général donneur et receveur ne se connaissent même pas.

Le bon sens nous dit donc que les gens donnent leur sang pour aider les autres, et par pour obtenir un bénéfice caché. Richard Alexander décida d'aller contre le bon sens. Son hypothèse était que le donneur serait repayé, non pas par le receveur de son sang, mais par ses compagnons de tous les jours, qui seraient, au vu de son sacrifice, plus enclins à coopérer avec lui.

Cette hypothèse génère des prédictions; l'une d'entre elles est que les donneurs de sang vont faire savoir à d'autres gens qu'ils donnent leur sang. Dans ce contexte, il est intéressant de constater que la Croix-Rouge américaine distribue des "pins" à ceux qui donnent leur sang.

La prédiction corollaire est que les gens peu enclins à donner leur sang vont éviter de le dire. Dans une étude, on a demandé à des étudiants de mettre une croix dans un formulaire s'ils ne donneraient probablement pas leur sang la semaine suivante. Seuls 30% ont mis une croix (les autres, soit 70%, indiquant donc que probablement ils donneraient leur sang). En réalité, seuls 17% des étudiants ont donné leur sang la semaine suivante.

Alexander n'est pas en train de dire que le caractère "don du sang" a été mis en place par la sélection naturelle, mais plutôt que nos mécanismes psychologiques ont évolué de manière à nous encourager à faire des bonnes actions visibles envers les autres. Daly et Wilson suggèrent qu'un mécanisme proximal nous fait nous sentir mieux lorsque nous aidons les autres – même de parfaits étrangers – à condition que les coûts encourus soient bas.

Dans le passé, le succès reproducteur dans nos sociétés de chasseurs-cueilleurs ancestrales devait beaucoup dépendre de la possibilité de construire et de maintenir des alliances coopératives. Dans un tel environnement, celui qui fait des petites choses qui aident les autres se forge une réputation de bon coopérateur qui lui facilite les alliances.

On peut le montrer dans une situation artificielle: Wedekind (le chercheur qui avait fait l'expérience des T-shirts et du CMH) et Milinski ont mis sur pied une expérience en forme de tournoi où les joueurs faisaient des dons (un joueur décidait de donner zéro, un ou deux francs à un autre joueur, inconnu de lui, et ce don était doublé par les expérimentateurs). Pour prendre sa décision, le joueur ne savait qu'une chose: si l'autre joueur était lui-même généreux. En fin de compte, les joueurs faisaient plus volontiers des dons à des autres joueurs ayant une réputation de générosité; c'est ce que prévoit une hypothèse d'altruisme réciproque indirect.

L'idée générale derrière ces approches est que nous pouvons potentiellement considérer toutes nos actions, même dans notre environnement moderne, comme naissant de mécanismes psychologiques adaptatifs ayant évolué dans un environnement particulier du passé. Cela nous donne la possibilité de générer des hypothèses testables.

8.14Evolution d'un altruisme non réciproque[130]

Finalement, des travaux récents[131] montrent que l'altruisme (pas dirigé vers la parentèle) peut se développer dans un cadre darwinien strict (sélection des caractères individuels donnant la meilleure fitness) indépendamment de toute réciprocité (même indirecte).

Dans une situation hypothétique (simulée numériquement), des individus font des dons (qui leur coûtent C = 0.1) à des bénéficiaires (auxquels cela rapporte B = 1.0). Les individus n'interagissent pas de manière répétée (pas de réciprocité directe possible), et les actions d'un individu (donne ou ne donne pas aux autres) n'influencent pas sa probabilité de recevoir de la part des autres (pas de réciprocité indirecte en jeu). Chaque individu interagit trois fois avec d'autres, puis ceux qui ont fait le meilleur score se reproduisent (avec des mutations). 100 individus sont générés ainsi sur 30'000 générations.

Dans ces conditions, l'altruisme va néanmoins s'imposer dans la population pour autant que les donneurs choisissent des individus à aider qui soient suffisamment semblables à eux-mêmes sur une caractéristique arbitraire (caractère observable ou tag). Lors d'une rencontre, la similitude des tags est évaluée (chaque individu ayant une certaine tolérance à la différence: les plus tolérants donneront de la manière la moins discriminative).

En démarrant la simulation avec des valeurs uniformes (les tags et les tolérances sont numériques et compris entre 0 et 1, la tolérance moyenne est de 0.5), on constate que rapidement la tolérance moyenne baisse jusque vers 0.02 (les individus des générations suivantes sont majoritairement discriminants). En effet, les donateurs discriminants ont été avantagés (ils donnent peu, reçoivent souvent) et se sont reproduits plus que les autres. Ainsi, le taux moyen de donation baisse jusqu'à 43%. On n'a pour l'instant pas de coopération, mais l'effet d'un égoïsme primaire!

Mais par la suite, comme certains individus ont (par hasard) des tags semblables, malgré leur faible tolérance, ils sont avantagés (par rapport aux autres) quand ils se rencontrent. Ils se reproduisent mieux que les autres et deviennent majoritaires dans la population (75-80%). On obtient ainsi une coopération par similarité (sans réciprocité) entre individus semblables par leur tags et non tolérants envers d'autres tags.

Après un certain temps, le degré de tolérance augmente légèrement dans le groupe, et il peut apparaître un mutant avec un tag assez semblable, mais une tolérance plus petite. Ce mutant va être avantagé, et il va être à l'origine d'un nouveau groupe, qui va supplanter le précédent. Ce cycle recommence ensuite.

La coopération par similarité peut se fonder sur des tags arbitraires (y compris des artefacts culturels: accents, habillements, ..., ou n'importe quel élément comportemental détectable). Elle ne nécessite pas de se souvenir des interactions passées, ni de savoir ce que les autres font: elle peut donc se baser sur des capacités de détection de signaux très limitées.

A titre de simple spéculation, on peut se demander si de tels mécanismes évolutifs sont impliqués dans des caractères comportementaux comme la tendance au racisme et à la xénophobie (altruisme envers le groupe propre, au détriment des groupes "autres", souvent ressentis comme "autres" sur la base de traits arbitraires).

L'idée que des mécanismes biologiques puissent éventuellement expliquer des attitudes aussi répréhensibles que le racisme fait bondir plus d'un. Un journaliste écrivait récemment: "Le racisme n'est pas biologique, il est culturel." A cette affirmation, je serais tenté de répondre: (1) Prouvez-le moi, et (2) Cela ne change rien à ce que doit être notre attitude vis-à-vis du racisme, car une explication n'est pas une justification!


 



[1] Pararge aegeria (speckled wood butterfly).

[2] La formulation devrait dire "de la fréquence des gènes dans la population", mais il est didactiquement prématuré d'en parler ici.

[3] La fitness est aussi désignée, en français, par le terme d'aptitude. Ce qui pose problème pour des psychologues, aptitude désignant aussi g, le facteur d'intelligence lié au QI.

[4] Une adaptation de groupe est une propriété d'un groupe qui profite à la survie et à la procréation de ce groupe (pour juger de la validité de ce concept, il faut en exclure les adaptations dues à la sélection de la parentèle). Elles résulteraient de la reproduction différentielle de groupes entiers. Il existe des contre-exemples patents, comme la sex-ratio 1:1 dans des espèces polygynes (où il suffirait de quelques mâles!). En fin de compte, il semble que la sélection de groupe opère dans certains cas, mais que, par comparaison avec la sélection individuelle, son effet sur l'évolution est faible (i.e. la sélection au niveau de l'individu efface les effets de la sélection de groupe s'ils sont opposés). Cf. RID-325 et suivantes.

[5] Néanmoins, Sober et Wilson, dans leur ouvrage de 1998 [SOB], affirment que la sélection de groupe a été mise hors concours à tort. Selon ces auteurs, et d'autres comme Dugatkin, la sélection naturelle opère à plusieurs niveaux, en particulier au niveau du groupe à certaines conditions: (1) isolation des groupes les uns des autres pendant une partie du temps, avec durant ce temps croissance différentielle des groupes, et reproduction différentielle à l'intérieur de ces groupes; (2) puis éclatement des groupes et brassage, avant une nouvelle isolation. Ces conditions sont celles, par exemple, des parasites dans l'hôte, qui se développent en populations isolées (les hôtes différents), avant de se mélanger dans la phase de dissémination.

[6] Dont les créateurs étaient John von Neumann (un des concepteurs de l'ordinateur) et Oskar Morgenstern dans les années 40. La théorie cherche à déterminer la stratégie optimale dans des situations de conflit.

[7] Section passablement remaniée en 2001-2002.

[8] J. Maynard Smith, Evolution and the theory of games, Cambridge University Press, 1982: "a strategy such that, if all members of a population adopt it, then no mutant strategy could invade the population under the influence of natural selection."

[9] Ou, si vous préférez, le gain moyen sur un grand nombre d'affrontements.

[10] Dans ce cas, le combat dure peu.

[11] Par hypothèse p(gagner)=0.5, mais dans colombe contre colombe, de toute manière l'affrontement dure longtemps puisqu'il n'y a pas un opposant dangereux qui ferait fuir l'autre individu. Raison pour laquelle la valeur –3 n'est pas assortie d'une probabilité.

[12] La mixité peut être réalisée dans l'individu (8 fois sur 13, il se comporte en Faucon, etc. )ou entre individus (8 individus sur 13 sont toujours Faucons, etc.)

[13] Section amplifiée en 2001-2002.

[14] R. Axelrod, The Evolution of Cooperation, New York, Basic Books, 1984.

[15] [RID-308]: si la sex-ratio est de 0.25, c'est qu'un mâle féconde en moyenne 4 femelles, et a donc 4 fois plus de descendants qu'une femelle. Une femelle mutante produisant plus de mâles (que 1 mâle pour 4 femelles) que la moyenne serait donc avantagée en nombre de descendants par rapport aux autres femelles. La mutation devrait donc se répandre, donc la proportion de mâles devrait augmenter, ramenant la sex-ratio vers 1:1. On peut évidemment raisonner de la même manière pour une sex-ratio biaisée en faveur des femelles. La raison fondamentale à cet équilibre est que chaque individu a une mère et un père. La compétition sexuelle localisée, cependant, peut entraîner des sex-ratio différents de 1.

[16] Dans une espèce polygame, un fils à succès peut vous donner de nombreux petits-enfants, bien plus qu'une fille à succès; par contre, un fils sans succès ne vous donnera aucun petit-fils (les fils sont à hauts risques et hautes récompenses).

[17] La procréation est polygyne, les biches vivent en hardes, défendues chacune par un seul mâle. A l'intérieur d'une harde, il existe une hiérarchie de dominance. Les dominantes sont mieux nourries, et peuvent mieux soigner leurs faons, qui deviennent plus forts que la moyenne. Ceci entraîne une sélection qui amène les dominantes à produire plus de fils, et les subordonnées, plus de filles. Les biches doivent évidemment percevoir leur statut social, mais "percevoir" veut simplement dire "s'y ajuster" et n'implique pas une représentation consciente. [RID-311].

[18] C'est un raccourci. L'effet montré ici (de la dominance) est nommé modèle de la compétition pour les ressources locales et est lié à quel sexe quitte le noyau familial. En effet, c'est celui qui reste qui hérite du rang (de dominance), donc les femelles dominantes vont produire davantage d'enfants du sexe qui reste "en famille" à la puberté. La société humaine est patriarcale avec exogamie femelle (donc ce sont les garçons qui héritent majoritairement du statut des parents).

[19] Il y a une meilleure description de la situation hiérarchique dans WIL-512.

[20] Canards, etc.

[21] Perroquets.

[22] Hiboux.

[23] J'ai renoncé à mentionner ici celle de l'association avec les jeunes, selon laquelle l'investissement maternel est simplement dû au fait que les mâles, souvent, ne sont pas à proximité lors de la naissance ou même en général. Cette hypothèse semble peu convaincante.

[24] "Low Reliability of Paternity"

[25] Cela n'exclut pas l'apparition de ce comportement, si le mâle y gagne quand même en descendance; mais évidemment s'il s'occupe des petits (qui ne sont éventuellement pas les siens), il ne va pas en même temps chercher une autre partenaire. Tout est dans le rapport entre le bénéfice de rester (pondéré par la probabilité que les petits soient les siens) opposé au coût de rester.

[26] BUS-194 uniquement.

[27] Atahualpa, le roi-soleil des Incas, gardait 1500 jeunes vierges dans chacune de ses diverses "maisons" au travers du pays. Entre les harems de l'Inca et ceux de ses dignitaires, il restait bien peu de femmes pour l'inca moyen. Si celui-ci obtenait les faveurs d'une des vierges du soleil, lui-même, sa famille, et tout son village (y compris les lamas) étaient tués en représailles [RIR-167].

[28] Les Hétéroptères (punaises) ont des ailes arrières membraneuses, mais les ailes antérieures sont divisées en deux parties: une partie durcie (proche du thorax) appelée corie, et une partie extrême, membraneuse. Ce sont ces parties membraneuses qui, superposées quand les ailes sont fermées, forment l'espèce de losange que l'on voit sur l'abdomen des punaises. Les Hétéroptères ont un appareil buccal piqueur-suceur;  chez nous, la plupart sont végétariens, certains sont prédateurs, certains autres (rares) sont hématophages (punaise des lits).

[29] Où les femelles s'accouplent avec plusieurs mâles.

[30] Centrocercus urophasianus (sage grouse): Un gros oiseau (semblable au faisan) des plaines américaines. Il est aussi appelé Tétras des armoises ou Gélinotte des armoises.

[31] Les mâles se réunissent en un lieu particulier (lek) où chacun détient un territoire (lequel ne contient aucune ressource). Les femelles inspectent les mâles et s'accouplent avec certains, en général ceux qui sont plus près du milieu du lek (chercher les détails).

[32] Il y a, bien sûr, compétition sur le lek!

[33] Le gibbon (Genre Hilobates) est le plus petit des anthropoïdes (35-85 cm de haut); on le trouve dans les forêts tropicales d'extrême-Orient.

[34] Merops bullockoides (White-fronted bee-eater). Chez cette espèce, on trouve des "aides", dont le nombre est fonction des conditions d'abondance des ressources [GOO-657]. Le genre Merops n'a qu'un représentant chez nous: le guêpier d'Europe, Merops apiaster.

[35] Acrocephalus arundinaceus (Great reed warbler). Une fauvette d'assez grande taille (19 cm).

[36] Section modifiée en 2001-2002.

[37] L'asymétrie dans la répression de l'adultère (la femme adultère est typiquement punie beaucoup plus brutalement que l'homme adultère – à supposer que celui-ci soit puni! – dans la plupart des sociétés) demande une explication: il ne suffit pas d'appeler cela du sexisme. La loi contre le vol ou le meurtre n'est en règle générale pas sexiste. En fait, les codes légaux définissent l'adultère en fonction du statut marital de la femme; que l'homme adultère soit marié ou non n'est pas pris en considération. Ce n'est pas l'adultère de la femme per se que la loi punit, mais l'introduction éventuelle d'enfants bâtards dans la famille (ou l'incertitude à ce sujet); l'adultère par le mari n'a pas ces conséquences. [RIR-230]

[38] Section amplifiée en 2001-2002.

[39] Cette équation se transforme en l'équation suivante quand la copulation suit une masturbation: NSEC = 357 + (1.94 ´ HDDC) - (3.40 ´ PTE) - (228 - (2.41 ´ HMAS)), où HMAS est le nombre d'heures écoulées depuis la dernière masturbation. La diminution (originellement de 228 millions) due à la masturbation décroît avec le temps qui passe. Le patron de masturbation masculine est typique: elle croît brutalement dès 4 jours. La fonction pourrait en être de fournir un sperme "jeune" (évacuation du sperme vieux), plus efficace dans la compétition et dans son déplacement. Après une masturbation, l'homme insémine moins de spermatozoïdes, mais une plus grande proportion sont retenus dans la femme; la tendance est même à l'avantage de ceux qui se sont masturbés.

[40] Baker et Bellis (1995) ont également trouvé que les morphes "anormaux" des spermatozoïdes (il y a une certaine proportion de spermatozoïdes dont le flagelle est en spirale et qui ne sont pas des bons nageurs) se comportent en tueurs de spermatozoïdes "étrangers"! La proportion de ces tueurs augmente quand le risque d'infidélité (au sens ci-dessus) est plus grand...

[41] Une trop grande densité de spermatozoïdes décroît la probabilité de fertilisation chez la souris et chez l'homme (l'idéal in vitro chez l'homme est de 50'000 spermatozoïdes par ovule); de plus, la densité élevée de spermatozoïdes augmente le risque d'avoir une fertilisation polyspermique et donc un fœtus polyploïde (10% des fœtus spontanément avortés sont polyploïdes).

[42] Une contre-hypothèse intéressante a également été infirmée. DeSteno & Salovey ont supposé que ces résultats s'expliquent car hommes et femmes perçoivent différemment le risque qu'une infidélité sexuelle devienne une infidélité émotionnelle et vice-versa. En modifiant son étude de différentes manières, Buss (1999) a pu montrer que cette interprétation ne suffit pas [BUS-328].

[43] L'hirondelle rousseline (Hirundo daurica) vit en couples solitaire, alors que l'hirondelle de cheminée (Hirundo rustica) vit en colonies. Dans ce dernier cas, le risque de copulations hors couples est plus élevé; pour "compenser" cela, les hirondelles de cheminée copulent trois fois plus souvent que les hirondelles rousselines. Birkhead et M-ller, auteurs de cette comparaison, l'ont répliquée chez six autres genres ayant des espèces solitaires et grégaires, toujours avec le même résultat. [ALC-474]

[44] Pour savoir comment interpréter cela, il faudrait savoir ce que disent les pères. En effet, c'est un phénomène d'expérience courante que les gens qui connaissent mieux un des deux parents trouvent que l'enfant ressemble à ce parent, alors que ceux qui connaissent mieux l'autre parent trouve que l'enfant ressemble à celui-ci (ma collègue Joséphine Gür-Georgakopoulos et moi-même sommes tous deux parents, et nous avons tous deux observé cela). Or, la mère connaît probablement visuellement mieux son mari qu'elle-même (elle le regarde plus souvent qu'elle ne se regarde), donc ceci pourrait expliquer la ressemblance affirmée (cette interprétation m'a été suggérée par J. Gür-Georgakopoulos)

[45] Nouvelle section (2001-2002).

[46] J'ai un problème (et je ne suis pas le seul) avec ce terme. En anglais, il est unique (evolutionary psychology), mais en français, on trouvera psychologie évolutive, psychologie évolutionnaire, psychologie évolutionniste... Daly et Wilson rapportent aussi l'usage, sauf erreur, de selectionnist thinking.

[47] Freud avait été très influencé par la théorie de Darwin, même s'il l'avait en grande partie mal comprise.

[48] La tendance à maximaliser sa progéniture, donc pour l'homme à s'accoupler le plus possible, résulte du conflit sexuel inévitable en raison des investissements parentaux différents. Les mécanismes proximaux résultant de cela sont ceux du désir sexuel (passablement peu discriminatif chez le mâle...). La prostituée obtient des avantages financiers mais ne produit pas de progéniture: elle exploite donc à son avantage les mécanismes proximaux de l'homme. La compagne légale de l'homme, elle, a aussi bien des pertes que des bénéfices. Au niveau des pertes, l'investissement surtout financier de l'homme pour une autre qu'elle et ses enfants; au niveau des avantages, la codification de cette infidélité réduit le risque d'une infidélité émotionnelle (avoir une amante) qui se traduirait par des pertes bien plus grandes.

[49] Article de Domaine Public (hebdomadaire romand de gauche), no 1427, 14.4.2000, signé Gérard Escher [J'ai souligné les raccourcis abusifs] : (...) La notion d'adaptation peut-elle facilement servir de fondement à nos comportements ? La psychologie évolutive le croit, qui classe les comportements humains en comportements adaptés (c'est-à-dire retenus spécifiquement par la sélection naturelle) et comportements parasites (conséquence secondaire, déchet de la sélection naturelle), jouer du piano par exemple. C'est là un trait qui n'a pu être, faute de temps, retenu par la sélection ; il est le produit indirect d'autres sélections, l'ouïe fine du guetteur et l'adresse digitale du cueilleur de noisettes. Pour montrer l'ambiguïté de l'approche, un livre qui fera prochainement fureur chez nous, A natural history of rape. Pourquoi certains comportements violents et réprouvés se maintiennent-ils dans l'espèce humaine? C'est qu'ils sont adaptés : la violence sexuelle, par exemple. Sans le viol, certains mâles n'auraient pas de chance d'avoir des descendants et de transmettre leurs gènes, dit cette approche. D'ailleurs, ajoute-t-elle, ces mâles s'en prennent de préférence à des femmes en âge d'avoir des enfants. Et quand on oppose le nombre disproportionné des petites filles violentées, la réponse est que l'apparition précoce des signes sexuels secondaires trouble ce comportement adaptatif. Et ainsi de suite ­ l'approche est imparable. On aboutit à une justification automatique de ce qui existe, du « meilleur des mondes possibles » évoqué par Voltaire. [NB: (1) Il arrive que des jeunes orangs-outans, un singe qui n'a pratiquement pas de vie sociale, donc pas de culture, violent des femelles (2) le viol – chez l'orang comme chez l'homme – peut ne pas être directement une adaptation, mais un effet marginal des mécanismes mis en place par la sélection sexuelle. Le livre mentionné est de Randy Thornhill et Craig T. Palmer, MIT Press].

[50] Comment peut-on expliquer que des personnes adoptent des enfants qui ne sont pas apparentés à eux? Et que cela se passe mieux que dans le cas des parâtres? Le succès du parentage artificiel dépendra du désir initial du parent substitut de recréer un véritable amour parental. Chez des couples qui adoptent, ce désir est élevé car ce sont la plupart du temps des couples sans enfants qui désirent en avoir, et en outre ils ont été "filtrés" par les agences d'adoption. De plus, dans ces conditions, l'enfant n'est de personne, donc aucun des deux partenaires n'est (ou ne se sent) exploité au bénéfice de la fitness de l'autre. Des études montrent cependant que les enfants adoptés, même dans ces conditions favorables, peuvent souffrir de la naissance subséquente d'enfants naturels [DHO-84]

[51] On pourrait objecter que ces différences de traitement envers les enfants biologiques ou non sont d'origine culturelle: la société véhicule une image de l'importance du lien du sang qui donne une valeur différente aux enfants. Mais on n'a fait que reculer pour sauter plus loin: il faut alors se demander pourquoi la société véhicule cette image, et pas une image inverse. Une objection méthodologique concerne aussi une variable parasite: les couples recomposés sont peut-être faits de personnes qui, plus que la moyenne, ont des seuils de tolérance bas (ce qui pourrait expliquer leurs divorces). La seule façon de vérifier cela est de comparer uniquement dans les couples recomposés la maltraitance due au parent biologique, et celle due au parent non biologique; malheureusement, cette vérification est impossible car, en général, un autre biais apparaît: le parent biologique est le plus souvent la mère, qui a la garde des enfants.

[52] Au fond, c'est sans doute le seuil de tolérance des parents non génétiques qui est plus bas que celui des parents génétiques. Les enfants sont irritants et tous les parents ont des moments où la violence pourrait se manifester, ne serait-ce que par simple irritation ou épuisement nerveux (en janvier 2002 le célèbre alpiniste Erhard Loretan, vainqueur de quatorze "8000 m", réputé pour son sang-froid et son amour des enfants, a secoué son bébé de 7 mois qui pleurait, causant des lésions cérébrales mortelles).

[53] A tort, comme l'a montré la réfutation formelle de la théorie de Wynne-Edwards par Williams.

[54] Papio cynocephalus ursinus. Un babouin d'Afrique australe (p.ex. Delta de l'Okavango), qui vit en grands groupes multi-mâles et multi-femelles. Les mâles alpha (dominants) ont un avantage en termes d'accouplements, mais la durée de leur dominance sociale est brève (moins d'une année en moyenne) relativement à l'intervalle entre naissances chez la femelle. Un mâle qui vient d'immigrer dans un groupe et a atteint le rang alpha a donc intérêt à "accélérer" l'accès sexuel aux femelles fertiles en tuant les petits, mettant ainsi terme à l'aménorrhée des femelles lactantes [SCH-124]. Les amitiés hétérosexuelles observées dans cette espèce peuvent être interprétées comme des contre-adaptations des femelles visant à empêcher les infanticides.

[55] Ptilonorhynchus violaceus. Il vit dans l'est australien. C'est l'espèce d'oiseau à berceau dont on connaît le mieux les modalités de choix des femelles.

[56] On parle de sex-ratio opérationnelle: le rapport du nombre de mâles sexuellement réceptifs au nombre de femelles sexuellement réceptives en un moment donné quelconque [ALC-431]. Cette SRO est en général biaisée côté mâle (SRO>1: il y a plus que 1 mâle par femelle)

[57] Par contre il peut être avantageux d'être fécondée par plusieurs mâles, en termes de variabilité génétique et donc, par exemple, de potentiel d'occupation de niches légèrement différentes.

[58] Dans cet ouvrage collectif, il s'agit ici de l'article de Gérald Borgia.

[59] Le colvert est un contre-exemple bien connu. Il y a dimorphisme, mais l'espèce est monogame.

[60] L'exemple extrême de dimorphisme se voit chez l'éléphant de mer (Mirounga angustirostris), où les conditions font qu'il y a de grandes concentrations de femelles. Un mâle dominant (qui peut peser jusqu'à 4 tonnes!) peut défendre un harem de plus de 40 femelles, dans des combats violents et parfois mortels avec d'autres mâles. C'est un bon exemple de polygynie par défense des femelles; les autres sont la polygynie par défense des ressources (ressources essentielles aux femelles: sites de nidification, nourriture...; courant chez les oiseaux) et la polygynie à lek (où les mâles défendent un territoire symbolique; cf. Tétras centrocerque, manakin, chauve-souris marteau Hypsignathus monstrosus, diverses antilopes) [voir par exemple GOO-512 pour un bref survol, et ALC-500 pour plus de détails, y compris un 4ème système, la polygynie par "scramble competition"—en attendant une traduction – comme chez l'écureuil terrestre à 13 lignes ou la limule].

[61] Le scientifique qui avait eu lui aussi l'idée de l'évolution par sélection naturelle.

[62] Par exemple, chez le daim Dama dama (fallow deer), les femelles harcelées se réfugient sur le territoire des mâles dominants (c'est une polygynie à lek) qui repoussent ensuite les mâles qui harcèlent ces femelles.

[63] Les mouches "dansantes", ainsi appelées car les mâles volent doucement en formation (nombreuse), de-ci de-là. Lorsqu'il s'agit d'espèces portant des ballons nuptiaux (comme Hilara sartor, présente dans les Alpes et volant dans les forêts près de la cime des arbres), l'effet qui en résulte ne manque pas d'être surprenant.

[64] En ce sens que ce n'est pas la longueur de queue qui influence la survie: simplement, il se trouve que certaine combinaison génétique influence à la fois la longueur de la queue et la survie.

[65] a runaway process. Les descendants d'une femelle qui choisit des mâles à queue allongée hériteront de leur mère les gènes qui déterminent ce comportement et, de leur père, ceux qui commandent la morphologie de la queue. Ces deux sortes de gènes sont ainsi associés de manière non aléatoire.

[66] J'en comprime ici deux (Zahavi et Hamilton) en une (RID fait de même): toutes deux raisonnent sur l'idée que les caractères extrêmes signalent des bons gènes chez le mâle. La théorie du handicap, de Zahavi, est la suivante: La qualité d'un mâle ne se trouve pas simplement affichée: elle doit être comprise par la femelle à partir d'un signal. Si ce signal n'était pas coûteux, il y aurait une sélection en faveur des tricheurs. Par contre, si le signal est coûteux, la sélection ne jouera pas en faveur des tricheurs: le signal sera alors "honnête". Seuls les mâles à bons génomes (résistants, etc.) présenteront ce signal handicapant. Dans cette théorie, dès le départ le caractère constitue un handicap, ce qui s'oppose à l'idée de Fisher. En ce qui concerne l'hypothèse de Hamilton, elle ne parle pas de signal honnête, mais simplement du fait que les parasites empêchent les mâles d'avoir de beaux plumages.

[67] Des super-familles, à proprement parler.

[68] M-ller a introduit 50 acariens par nid. Il a ensuite dénombré les acariens sur les jeunes de 7 jours. En outre, il avait aussi montré que la queue plus longue représentait un coût: les mâles à queue artificiellement allongée portaient, l'année suivante, une queue plus courte que la moyenne (effort de vol supplémentaire implique coût physiologique payé par un raccourcissement de queue l'an suivant)

[69] Nouvelle section (2001-2002)

[70] Diane Marshall, U. of New Mexico; Mitchell Cruzan, State University of N.Y. Mentionnés dans un article de New Scietist, 9.1.1999.

[71] précisément 3.42 ans.

[72] On peut se demander pourquoi dans ces conditions les femmes jeunes ne choisissent que des hommes un peu plus âgés qu'elles, plutôt que bien plus âgés. Un facteur qui vient à l'esprit est le risque de décès ou de maladie associé au vieillissement.

[73] La Cerra a posé d'autres questions, non mentionnées ici.

[74] On trouve l'équation de Fisher (1930) en [KRE-312].

[75] Ceci est simplement lié à l'augmentation d'espérance de vie avec l'âge (raison pour laquelle on standardise l'espérance de vie en mentionnant toujours "l'espérance de vie à la naissance". Si un homme se choisit pour épouse une jeune femme prépubère, il se peut que cette femme meure avant d'avoir mis au monde un enfant. Ce risque diminue proportionnellement à l'augmentation de l'âge de la femme.

[76] Waist-to-hip ratio.

[77] Dans une étude faite chez des hommes et femmes médecins, Singh constate que les hommes et les femmes utilisent ce critère de la même manière quand il s'agit de juger de la santé, de l'attrait, de la jeunesse, et de la fertilité [McFA-406]. Or, Singh se pose la question suivante: si les anorexiques ne se trouvent jamais assez minces, est-ce parce que l'amaigrissement excessif, en fait, n'agit pas favorablement sur le RTH (en fait il le rend plus grand, car les hanches diminuent)? [RIR-282]

[78] L'infanticide femelle existe. Voir note plus bas.

[79] Presbytis entellus.

[80] On trouve les détails de la structure sociale des langurs gris en SHE-21 (un article de S. Hrdy).

[81] Il y a une 5ème hypothèse pour l'infanticide, mais cette fois dans le cas où ce sont les parents eux-même qui en sont responsables: la manipulation parentale, qui a pour but d'augmenter l'inclusive fitness d'un parent ou des deux [SCH-1].

[82] Auquel cas l'infanticide n'est qu'une conséquence non voulue.

[83] Chez l'éléphant de mer, où le lait maternel est une ressource précieuse (le petit triple, voire quintuple, son poids de naissance en un mois; et la femelle jeûne durant ce temps), on observe beaucoup d'infanticides dus aux femelles: les petits séparés accidentellement de leur mère – il peut y avoir plusieurs centaines de femelles sur une seule plage – essaient de téter d'autres femelles, qui les attaquent alors. Ces attaques sont responsables de 58% à 73% des morts de bébés dans cette espèce [SCH-434; TRI-59].

[84] Panthera leo.

[85] Comme chez l'éléphant d'Afrique.

[86] Chez le loup, une meute (5-15 individus) va couvrir environ 1000 km2 de territoire; les déplacements peuvent être de 100 km par 24 heures. Les meutes ont une territorialité spatio-temporelle (marquages, chant). Une meute est fondée par un couple qui en quitte une autre; ils sont, pour un temps, les deux alpha des deux dominances linéaires (mâle et femelle) de cette meute [WIL-505].

[87] Secondairement, on s'intéresse aussi aux variations entre individus d'une même espèce: pourquoi un couple de mésanges donne deux pontes en une année, et un autre couple seulement une ponte, etc.

[88] S'ils sont sans défense à la naissance ou au contraire précoces (capables de se mouvoir, etc.). Les oiseaux précoces sont dits nidifuges.

[89] La dimension du corps est un fort prédicteur du rapport L/G chez les primates et les carnivores [SCH-471]. La force de cet effet indique qu'il y a des contraintes développementales et physiologiques liées à la dimension du corps et influençant gestation et lactation, et donc qu'il n'est pas facile évolutivement de changer la life history (le rapport L/G) pour réduire les risques d'infanticide.

[90] La clé de lecture des ordres ou sous-ordres indiqués dans le graphe est la suivante: Carniv. Pinnipeda: Pinnipèdes (Carnivores à doigts joints par une membrane: Phoques, otaries et morse). Edentata: Edentés (fourmiliers, paresseux et tatous). Rodentia-Hystricognathi: Hystricognathes (Rongeurs de type porc-épic: porcs-épics, cobayes, agoutis, ragondins, chinchillas...). Mascroscelidea: Macroscélidés (musaraignes-éléphants). Cetacea-Mysticeti: Mysticètes (cétacés à fanons: baleines). Artiodactyla: Artiodactyles (ongulés à doigts pairs: porcs, hippopotames, chameaux, cervidés, bovidés – y compris moutons et antilopes --, girafes). Lagomorpha: Lagomorphes (pikas, lièvres et lapins). Insectivora: Insectivores (taupes, hérissons, musaraignes). Perissodactyla: Périssodactyles (ongulés à doigts impairs (tapirs, rhinocéros, chevaux, ânes). Rodentia-Sciurognathi: Sciurognathes (Rongeurs de type écureuil: écureuils, marmottes, castors). Cetacea-Odontoceti: Odontocètes (cétacés à dents: dauphins, cachalot, orques). Carnivora-fissipedi: Fissipèdes (Carnivores à doigts séparés, c.-à-d. tous ceux qui ne sont pas des Pinnipèdes)

[91] Tursiops truncatus

[92] Ursus americanus, U. arctos, U. maritimus

[93] Lynx canadensis, L. rufus.

[94] Une stratégie plus trompeuse induisant le mâle en erreur ne serait pas évolutivement stable. En effet, puisque les petits à défendre, dans ce cas-là, ne seraient le plus souvent pas ceux du mâle, un mâle qui ne chercherait pas à les protéger, et chercherait plutôt à s'accoupler avec davantage de femelles, produirait plus de descendants (auxquels il transmet son comportement de non-protection) qu'un mâle protégeant des petits qui ne sont pas les siens (et auxquels il ne peut donc pas transmettre le comportement de protection qu'il a lui-même!).

[95] Nouvelle section (2001-2002)

[96] Comme il ne s'agit que d'un collationnement de données préexistantes et recueillies selon les intérêts des ethnologues et selon les circonstances, cette base de données est malheureusement hétérogène.

[97] Les Indiens Blackfoot d'Amérique du Nord.

[98] Les jumeaux donnent lieu à infanticide dans les sociétés où les mères ont peu d'aide, mais beaucoup moins dans celle où il y a soutien social à la mère.

[99] Et dans ce cas-là, c'est toujours le petit qui est sacrifié, jamais l'aîné. Ceci est en accord aussi avec les prédictions évolutives: le potentiel reproducteur du grand est supérieur (il a déjà survécu jusque-là!)

[100] En génétique, on traduit fitness, dans ce sens particulier de succès reproducteur, par aptitude.

[101] Nouvelle section (2001-2002)

[102] Nouvelle section (2001-2002)

[103] Il y a 1.5 milliard d'années, une bactérie particulière a dû être ingérée, a résisté à la digestion, s'est installée dans son hôte, et a pu également se diviser indépendamment de son hôte. Par la suite, une partie du génome de la bactérie a été transférée dans le génome de l'hôte, qui en a pris le contrôle. Nous sommes le résultat de ce partenariat. Le même type de partenariat a dû être à l'origine des chloroplastes des plantes, et, peut-être, d'autres organelles comme les peroxisomes (qui détoxifient entre autres l'alcool!) ou, chez les cnidaires (méduses et anémones), les cnidocystes, ces petites cellules-harpon. On trouve des endosymbiontes actuellement, par exemple dans l'intestin des termites vit un protiste, dans lequel il y a une bactérie qui est capable de digérer la cellulose; sans bactérie, ni le protiste ni le termite ne pourraient vivre.

[104] Macrotus mexicanus (?), free-tailed Mexican bat.

[105] Pandion haliaetus (osprey), famille des Accipitridés, comme l'aigle noir.

[106] Sula nebouxii (blue-footed booby), Sulidés.

[107] Dans le cas de grands morceaux à se partager, il est probable que le combat est moins efficace que simplement la vitesse d'ingestion. Les hérons bleus Ardea herodias se comportement différemment selon les régions: au Québec, les petits reçoivent des petits morceaux, et combattent; au Texas, les morceaux sont gros, et les petits ne combattent pas (mais s'ils sont élevés par des oiseaux qui apportent des petits morceaux, ils combattent).[SHE-201].

[108] Section amplifiée (2001-2002)

[109] Une bonne façon de localiser les babouins (normalement silencieux) est de se rendre dans une zone où il y a des arbres du type de ceux que les babouins choisissent pour s'installer, et d'écouter au matin le son du conflit de sevrage.

[110] Le chercheur qui, avec Willard, avait proposé l'hypothèse des biais dans la sex-ratio.

[111] Nouvelle section.

[112] Le revêtement intérieur de l'utérus.

[113] Ariane Etienne utilisait eusociales; j'ai choisi d'utiliser la forme employée par Pierre Jaisson.

[114] Chez les hyménoptères, il y a 275'000 espèces, dont seulement 6% (soit 16'500) sont vraiment sociales: 13'000 fourmis, 2'500 abeilles et bourdons, 1'000 guêpes.

[115] Cette diversification date du Crétacé. Il y a 110 millions d'années, le nombre d'Angiospermes (plantes à fleurs, ou, étymologiquement, "à graine enfermée", car les graines sont enfermées dans le carpelle, couche de tissus qui enrobe l'ovule, et qui deviendra le fruit) était négligeable par rapport au nombre de Gymnospermes (plantes sans fleurs, ou "à graine nue": mousses, lycopodes, prêles, fougères, ginkgos et conifères). Dix millions d'années plus tard, les Angiospermes dominaient.

[116] Il semble y avoir passablement de problèmes à traduire ce terme en français. Le traducteur de RID utilise aptitude; JAI préfère adéquation adaptative.

[117] Cellular slime molds.

[118] Aphelocoma coerulescens (Florida scrub jay)

[119] Dans d'autres études, il a pu contrôler l'effet de l'âge (les couples sans aide sont aussi les plus jeunes, donc les plus inexpérimentés). L'étude finale comparait les mêmes couples dans des années avec aide et des années sans aide. Les effets étaient les mêmes.

[120] [ (p que la sœur a les mêmes parents) x (r avec sœur) + (p que la sœur n'a pas le même père) x (r avec demi-sœur) ] x (r entre sœur et ses enfants), soit [ ¼ x ½ + ¾ x ¼ ] x ½ = [ 2/16 + 3/16 ] x ½ = 5/32.

[121] Le CMH (nommé HLA chez l'homme et H-2 chez la souris) est une grande région génétique (4 mégabases) qui contient 74 gènes, extrêmement variables (certains ont 50-100 allèles de fréquence identique). Il en résulte une combinatoire produisant un très grand nombre de génotypes différents. En particulier, le CMH est responsable de la présence de glycoprotéines dans la membrane cellulaire qui "identifient" soi-même; d'autres protéines produites par le CMH attrapent les composés étrangers (p.ex. viraux) dans le cytoplasme et les "présentent" en-dehors de la membrane cellulaire. Notons qu'en dépit du rôle du CMH dans la protection immunitaire, la diversité génétique n'influence pratiquement pas la résistance aux maladies: son seul effet connu est lié à la susceptibilité aux maladies auto-immunes et à la malaria.

[122] Une lignée congénique est un raffinement de la lignée consanguine. On commence par obtenir des lignées consanguines en accouplant, pendant de nombreuses générations, les descendants de mêmes parents (on accouple frère et sœur à chaque génération). On obtient des individus génétiquement identiques en fin de compte, car chaque accouplement "laisse de côté" certains allèles dans la combinatoire (qui ne reviennent plus en jeu ensuite; l'homozygotie totale est obtenue chez la souris après 20-30 générations; bonne description en ADA-95). Pour obtenir des individus congéniques, on croise ceux de deux lignées consanguines, ensuite on croise la progéniture avec l'une des deux souches initiales (toujours la même) sur de nombreuses générations, et à chaque génération on sélectionne les descendants en fonction d'un caractère génétique particulier. Les deux souches ne diffèrent finalement que par cette partie-là du patrimoine génétique.

[123] Pour étudier cela systématiquement, ils ont croisé des souris congéniques pour obtenir une F1 (dont tous les membres sont évidemment hétérozygotes pour le CMH), et ensuite ils ont croisé entre elles les souris de cette F1. En F2, on avait donc trois groupes de souris, deux homozygotes et un hétérozygote. Les F2 homozygotes ont donc été exposées à un environnement développemental différent (leurs parents de F1 sont hétérozygotes). Les préférences des F2 homozygotes étaient différentes en partie de celles des G homozygotes identiques, ce qui indique qu'outre l'information génétique il y a intégration d'information au cours de l'ontogenèse.

 

[124] Wilkinson et al. on étudié 72 souris allaitantes dans un hangar: 10 avaient fait des nids par deux. et ces couples avaient un r de 0.13 (cousins germains). Ceci pourrait s'expliquer par le fait que les mères souris ne font pas de discrimination envers des petits qui ne sont pas les leurs, donc si une mère allaite des petits qui ne sont pas les siens, il vaut mieux, du point de vue de l'inclusive fitness, qu'ils aient un lien génétique avec elles [JAI-258].

[125] Les glycoprotéines de membrane produisent des sous-produits de décomposition qui sont sécrétés dans l'urine et la sueur. Il est à noter qu'un chien (berger allemand ou labrador) ne peut pas distinguer deux jumeaux MZ nourris de la même manière à l'odeur [JAI-280]. Par contre, des enfants de 3 à 6 ans peuvent reconnaître l'odeur de leur frère ou de leur sœur.

[126] Desmodus rotundus

[127] Un groupe est constitué d'une dizaine de femelles avec leur petit, tous accrochés au sommet de la cavité. Sur les parois, un petit nombre de mâles défendent le territoire contre des mâles étrangers au site. Par contre, les femelles visitent d'autres arbres habités. Après avoir atteint l'âge adulte, les filles restent avec leurs mères et les fils s'en vont (la philopatrie des femelles est aussi observée chez des chauves-souris de chez nous, cf. exposé à Zoologia 2001)

[128] Axelrod suit une approche stratégique plutôt que génétique: dans le contexte humain, l'évolution porte sur des stratégies (les bonnes survivent, les mauvaises sont abandonnées).

[129] Et compléments dans ALC (7ème édition) p. 458.

[130] Nouvelle section (2001-2002)

[131] Riolo, Cohen et Axelrod, Nature 414, 441-443 (2001)